"Comment ça va ? Tout est à chier."
"Se préparer pour tout combat consiste essentiellement à se délester de son fardeau. Si on se lance dans la bataille chargé de son passé on est sûr de courir à la mort. L'austérité élève le coeur. Voyage léger. Quelques idées suffisent."
D'aucuns disent que le McCarthy arrive exsangue en fin de carrière, et je m'en offusque un brin tant j'ai passé un très bon moment en sa compagnie. Il est question ici, comme il le fut annoncé, d'une histoire "d'amour" (je mets les guillemets car tout reste, de ce que l'on lit, au niveau des sentiments fougueux) entre un frère et une soeur : au moment où commence le récit, la soeur, Alicia, est morte précocément il y a dix ans et son frère Bobby est depuis inconsolable. On apprend que la soeur fréquenta longtemps un asile, que le frère, devenu plongeur (... éternellement perdu dans les profondeurs de ses souvenirs ?), est poursuivi par le fisc américain (qui ne rigole guère) et vogue la galère : on assiste aux discussions farfelues de la soeur avec les étranges créatures qui peuplent son cerveau, on assiste aux errances du brother qui, entre deux longues discussions avec des potes dans des bars ou restos, n'a de cesse de reprendre la route pour tenter de disparaître (on ira jusqu'à Ibiza, mes amis, après avoir traversé moult bleds ricains dans différents Etats) et démerdez-vous avec ça en tant que fil rouge narratif... Il sera beaucoup question de physique, de maths (oups), mais aussi de petites leçons de philosophie de vie, des Kennedy, de la mafia (cela va ensemble), de rêves, d'amitiés indissolubles, de morts troublantes et d'une énigme : quel est le passager qui a disparu dans cet avion que le Bobby plongeur est allé visité en début d'ouvrage ? - une énigme qui pourrait (ou non) avoir un lien avec tous les problèmes (fiscaux) qu'il rencontre, lui le sans attache, lui qui semble vivre éternellement dans cette histoire avortée avec cette soeur si particulière...
Oui, cette oeuvre de McCarthy (dont on aura droit à la seconde partie fin avril - Stella Artis) est parfois un peu déroutante, brassant de multiples pistes, emmêlant a volo les histoires ; on pourra nonobstant au passage apprécier pleinement cette écriture ultra descriptive de McCarthy quand il décide de montrer son héros en pleine action, ces passages panthéistes sur la nature et les étoiles lorsque le Bobby, soltaire, se terre, ces longs dialogues, ces échanges à batons rompus avec ses potes pour le moins bavards, jamais à court d'histoires personnelles foutraques, de théories extravagantes, de récits paraboliques... On pourra aussi parfois un peu s'ennuyer devant ces discussions un brin vaseuses entre Alicia et ce personnage casse-couilles à nageoires (...) qui hante son esprit. Oui, on a un peu l'impression que le livre part un peu dans tous les sens et l'on peine parfois à raccrocher tous les souvenirs confus de Bobby au wagon de sa vie... Mais il y a, derrière ce personnage un peu morbide, revenu de tout, beaucoup de vie dans ce roman, avec ces personnages extravagants de marginaux qui constituent l'essentiel de sa bande de potes, avec ces récits de survie dans les coins les plus paumés de l'Amérique... Beaucoup de questions restent péniblement en suspend mais cela n'en rend l'attente de la seconde partie que plus jouissive. Je serai, je le dis haut et fort, volontiers passager pour ce prochain voyage littéraire, point d'orgue de la carrière McCarthyenne.