LIVRE : Harlem Shuffle de Colson Whitehead - 2023

Fort de deux Pullitzer au compteur, Whitehead décide de nous plonger cette fois-ci dans le Harlem des sixties. Quoi de mieux pour ce faire que de prendre un petit personnage lambda, intelligent, ambitieux, qui demande juste de s'en sortir et de s'occuper de sa petite famille - une femme, deux bambins ?... Seulement voilà, quand on a eu un père qui trempait déjà dans des magouilles, quand on a des cousins qui sont attirés par des affaires louches (drogues et autres...), quand on a soi-même pas franchement froid aux yeux, difficile de passer au travers de toutes les embrouilles. Ray n'est certes pas un ange : il vend des meubles, de marque, de qualité, mais ne refuse pas le cas écheant de jouer les intermédiaires pour refiler des trucs tombés du camion, de l'électro-ménager notamment, ou des postes de télévision ou de radio qui se sont enfuis tout seul de chez eux (...) Il faut bien vivre, il n'y a pas de petits profits... Seulement voilà, son cousin, son pote d'enfance, ne va pas tarder à lui proposer plus gros : il veut braquer un hôtel qui a pignon sur rue dans le quartier et lui demander ensuite d'écouler la marchandise... Un plan basique. Malheureusement, dans le lot des trucs qu'il doit refourguer, il y a le collier offert par un ponte à sa maîtresse, un collier que ce dernier est prêt à retrouver à tout prix... Des têtes tombent, Ray la joue serré pour se sortir malicieusement de ce coup un peu trop fourré... Portrait d'un homme de bonne volonté (et ambitieux) des sixties mais aussi portrait d'un quartier, et de son fonctionnement un peu torve : enveloppes qu'il faut refiler aux flics pour ne pas être emmerdé, enveloppes qu'il faut refiler aux pontes mafieux pour pouvoir s'occuper tranquille de son petit commerce et, au-delà de tout ça, garder en tête ne jamais doubler plus fort ou plus vicieux que soi - ou s'arranger pour le faire descendre avant d'être sa victime... Whitehead découpe son roman en trois grandes parties avec, à chaque fois, une grosse emmerde à régler et des ennemis qui s'accumulent pour notre Ray... Au diapason avec notre homme paisible mais qui a ses connexions, on serre des fesses en espérant qu'il ne perde pas à chaque fois plus gros que la mise. Ça se lit tout seul, embrigadé qu'on est dans cet univers que Whitehead semble connaître comme sa poche. Un bon souffle chaud en provenance de ce quartier visqueux.