L'Empire des Sens (Ai no korîda) (1976) de Nagisa Ôshima
To ken or to ken, c'est bien ici la seule question. Quelle issue, pour cette femme, qui, indéniablement, ne peut se passer de la bite de son compagnon ? On se rappelle de la fin de la chose, de cette bite qui rend l'âme, mais pas forcément de toutes les étapes qu'il a fallu franchir pour en arriver là. Oshima, sur un scénario de Koji Wakamatsu tout de même, je viens de m'en rendre compte, pour ne pas rendre ces infinis ébats trop tristes (car la chair l'est toujours, au bout du compte) varie les plaisirs et les positions : on aura droit ici ainsi à différentes variations sexuelles pour cet homme dont les bourses sont la vie ; en dehors de sa femme et cette maîtresse insatiable (Sada), il se noiera dans un océan de geishas, se farcira une grosse, se tapera une vioque, assistera au godemichetage d'une geisha, bref tentera de varier les plaisirs même si ce plaisir vire parfois au cauchemar (dire notamment, après la vieille, qu'il a eu l'impression de se taper sa mère morte, ça émousse pas franchement son homme). Mais c'est surtout avec sa Sada qu'il multipliera les relations, indoor, outdoor, devant de la professionnelle nipponne, devant du quidam de rue, passant par dessus, ou par dessous quand elle joue du shamisen, éjaculant en se faisant copieusement étrangler ou abandonnant la partie dans la bouche aimante de son aimée. C'est un film que l'on se dépêche de voir avant 18 ans, c'est un film que l'on s'empêche de voir souvent par la suite (la preuve, une entrée très tardive dans ses colonnes) tant Oshima filme (à raison) la chose de façon plus clinique (une bite d'amarrage filmée frontalement) que véritablement sensuelle (la pénétration ou les coups prenant vite le pas, généralement, sur les caresses) : c'est plus l'histoire d'une obsession pour un membre que pour un homme, c'est plus l'histoire d'une fixette sur un outil qu'une passion amoureuse échevelée. Sada ne peut se faire violence pour quitter leur couche, capable d'enchainer les nuits blanches pour rester enchainée à son amant, empalée sur lui, contre lui, allant jusqu'au bout d'ailleurs de cette possession, physique, membresque - elle ira ensuite d'auberge en auberge avec ce membre san(glan)tement décapité... Du jusque-glandisme ? c'est ça.
Ce qu'on aime, surtout, dans cette oeuvre d'Oshima, finalement, ce n'est pas tant cette liberté totale à filmer des scènes de cul. C'est surtout ce dosage de gros plans, sur cette actrice, butée, têtue, au regard déterminé, ou sur cet acteur, zen, souriant, toujours amène. Des visages qui se réjouissent, qui jouissent, mais sur lesquels cet abandon au plaisir fera planer comme une ombre macabre. L'attirance, dans un premier temps, est charnelle, c'est vrai, puis la dépendance, rapidement obsessionnelle, puis la montée en puissante, toujours plus violente, avec ces petites crises, ce diktat au féminin - ça change ("baise la grosse, baise la vieille" ordonne-t-elle à cet amant allant toujours au charbon), et ces rapports de plus en plus dangereux, "mortels". Attrape-moi si tu peux, le petit jeu du début, se transforme en frappe-moi puis étrangle-moi si tu veux. Ce couple, fusionnel, Oshima, lors des ultimes ébats, a tendance à le filmer au plus près, mais séparément, pour montrer notamment ce visage déformé, jouissant, de cette femme plantée sur cet homme asphyxié, puis de filmer le visage tranquille, de moins en moins souriant, de plus en plus passif de cet homme, se donnant, étouffé et bandant dru, s'abandonnant littéralement, totalement en elle... jusqu'au dernier souffle, jusqu'au démembrement. Cette tragédie-là, plus que ce dérapage amoureux-là, on la sentait venir depuis longtemps, la dame jouant déjà par le passé non pas avec le métal de son zip mais avec les lames de ses ciseaux, menaçant notre homme de lui couper la gorge, de le trucider au moindre écart. Notre homme goguenard, alors, s'en moquait, riait - on sentait malgré tout, au fil des ébats, de plus en plus monter en lui l'ombre du doute, ou plus précisément une ombre d'abandon tant cette femme possessive finissait par le convaincre de prendre plaisir à être possédé, aspiré par elle... Notre homme finissait toujours par lui donner raison, par lâcher l'affaire, et l'affaire, ses affaires finiront bien par lâcher, la bite abandonnant son quai dans un geyser de sang, de sens. De l'empire intérieur lynchien à l'empire des sens oshimien il n'y a finalement qu'un pas, celui de trop qui fait tomber dans un gouffre sans fond, cauchemardesque, tragique. Un film moins côté peut-être maintenant mais qui fit fièrement date en son temps et qui peut continuer de pointer fièrement son (éten)dard vers le haut. Une bonne resucée.