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2 février 2023

LIVRE : Crépuscule de Philippe Claudel - 2023

f0dd3f0f21b20b5c8503eaad0a944133efadfcd7a0458b9bdab617c581cb5445Faut-il voir dans le dernier roman de Philippe Claudel une allégorie ? Peut-on lire au travers de cette histoire de meurtre de curé et de chasse au musulman une satire de notre époque, voire d'une autre plus ancienne où les Juifs furent massacrés ? Mmmm ? Je me le demande bien, et c'est vrai que le bougre avance à peine masqué avec son livre, qui se veut ample et tragique comme l'Histoire, mais aussi léger et fun comme un polar, mais aussi raffiné comme du Flaubert. C'est un peu trop d'ambition à la fois, dirais-je. Si le roman finit par convaincre, c'est en pointillés. Il faut se taper des pages et des pages de verbiage, de piétinement d'intrigue, de style inutilement ampoulé, pour de temps en temps trouver un paragraphe un peu inspiré, une idée de rebondissement maline ou un personnage attachant. Le roman se situe dans un petit village perdu, au sein d'un pays imaginaire qui tient plus ou moins d'un pays de l'Est, battu par les neiges, arriéré et gai comme une porte de prison. Mais les communautés vivent en harmonie dans la ville. Jusqu'au jour où le corps du curé est retrouvé assassiné d'un coup de pierre. Le policier de la ville, Nourio, se lance (mollement) dans l'enquête, assisté de son grand dadais d'adjoint. Mais les manipulations politiques, les comportements des habitants persuadés que la communauté musulmane est responsable du crime, les pièges tendus par les uns ou les autres, tout ça va entraver sérieusement notre flic, plus préoccupé pour sa part par la poitrine naissante de la (très) jeune fille du sabotier que par la résolution de l'énigme. Il faudra 400 pages pour venir à bout de ce simple crime. D'ici là, Claudel s'intéresse beaucoup plus à  la désintégration de l'harmonie entre les hommes, à la violence cachée derrière la placidité, aux tares de ses héros, qu'à l'assassinat du cureton.

Il s'intéresse aussi beaucoup à son écriture, ce qui est tout à sa gloire. Mais celle-ci devient en quelque sorte le personnage principal du roman, et finit par avoir la tête qui enfle. C'est bien beau de s'essayer aux phrases très longues, au rythme classique, aux formules savantes et complexes ; mais Claudel n'a pas les épaules pour ça. Le style de Crépuscule est criant de lourdeur : les phrases, saturées de relatives, alambiquées à l'envi alors qu'une simple ponctuation aurait suffi, deviennent illisibles, et on doit s'y reprendre plusieurs fois pour parvenir à identifier leur construction. Les chapitres s'alignent sans que rien ne bouge, sans que rien n'ait avancé dans l'intrigue comme si Claudel tirait à la ligne, comme s'il prenait un malin plaisir à nous dire : "vous voudriez que l'enquête avance ? eh ben c'est moi qui décide, et je préfère décrire ce petit brin d'herbe". Au milieu de ce chaos littéraire, étonnant chez le vieux briscard qu'il est, si bien qu'on se demande si cette complexité n'est pas une sorte d'effet comique voulu, il y a, c'est vrai, quelques jolies choses : une partie de chasse à l'ours très "à la russe", une manière de traiter le personnage principal avec ambiguïté (au départ noble et courageux, à la fin pathétique), quelques personnages secondaires pas mal troussés (l'idiot du village, ou l'imam), une atmosphère proche du Roi sans divertissement de Giono. C'est très inégal, un peu flou, mais allez, je donnerai un satisfecit à ce roman pour sa figuration de l'histoire récente (on reconnait la France post-Charlie Hebdo) et ancienne (on reconnaît quelques massacres du temps passé, comme chez Maurice Pons) qu'il effectue avec intelligence.

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