Encore un docu intime fabriqué à partir d'images d'archive, se dit-on au moment où on lance Un Homme médiocre en cette époque de prétendus surhommes (encouragé par le gars Ba***en, qui n'est pas le dernier en conseils pointus). Oui, mais alors je vous arrête tout de suite : ce témoignage-là est d'une importance capitale, puisqu'on assiste ni plus ni moins au témoignage d'un personnage historique. Médiocre, certes, comme il le dit lui-même, mais ayant expérimenté un truc incroyable. Bandinelli, jeune intellectuel italien, fut engagé dans les années 30 pour servir de guide, le temps d'une journée, à Hitler et Mussolini pour une visite des plus grands musées d'Italie. Cet esthète qui pourtant n'a pas caché son hostilité au fascisme, se retirant même de la vie publique en protestation, est pourtant enrôlé pour emmener nos deux hommes devant les plus beaux tableaux italiens. Et c'est lui qu'on voit donc sur ces vieux films, entraînant Adolf et Benito le long de ces musées. Si Hitler est un connaisseur, feignant en tout cas l'érudition et la sensibilité par rapport aux œuvres, Mussolini ne cache pas son inculture et son mépris pour les tableaux. A travers cette visite, ce sont deux cultures qui s'affrontent, une partisane de l'ordre et de la beauté, l'autre prônant un bon sens populiste, et c'est donc à une joute politique que se livrent nos deux dictateurs. Avec au milieu ce petit mec sans importance, qui a pourtant noté ses impressions sur un carnet ; impressions qui nous parviennent aujourd’hui, et qui sont restituées par la belle voix off de Caperna.
Les plus belles choses du texte, ce sont les aveux de lâcheté de cet homme, qui ne va pas au bout de ses convictions. Il envisage un attentat, songe à un refus, mais il finira par obéir servilement aux ordres. Et qui n'aurait pas fait la même chose ? Le texte interroge avec de larges béances, de grands silences très bien sentis, notre posture par rapport à l'Histoire : quand on est plongé dedans, que reste-t-il de nos convictions ? Le texte et la façon de le dire sont assez formidables, mais je me suis heurté aux images. Mises à part ces rares images d'archive, où on voit les deux gusses arpenter les couloirs des musées, jetant là un œil courroucé sur l'autre, passant ici devant son homologue pour un moment de gloire, on est moins convaincu par les images du présent. Au début, ce rythme très lent induit par des images de lieux vides, au ralenti, fait son effet : on est dans la tristesse du texte, dans cette sorte d'oubli que l'Histoire entraîne forcément, et on comprend l'esprit. Il ne reste plus rien maintenant de cette époque, à part une Italie sans âme, à part quelques rails qui ne mènent nulle part, l'effigie du Duce sur des serviettes de plage et quelques terrains vagues pluvieux. Mais peu à peu on se lasse. Le film ne fonctionne que sur une seule émotion (la mélancolie), et sur 1h20 c'est trop peu. C'est dommage, mais Caperna a peut-être plus réalisé un documentaire de radio qu'un vrai film de cinéma, faute de matière. Un film assez troublant tout de même, et qui vous fout un cafard durable.
- devant l'attitude servile de l'auteur : "qui n'aurait pas fait la même chose ?"
- devant l'Histoire : "quand on est plongé dedans, que reste-t-il de nos convictions ?"
J'appartiens à un milieu où heureusement, on ne s'est jamais posé ce genre de question (quelle que soit l'époque). On a agi, quelquefois pour réussir, quelquefois pour finir au poteau ou en prison, et même pour que 80 ans après, on puisse dire au chaud, dans ses pantoufles que hein, on ne sait pas ce qu'on aurait du faire...
Cela me rappelle d'ailleurs les "Journaux parisiens" de Jünger, du haut de son attitude de témoin impartial (sous l'uniforme de la wehrmacht, tout de même), renvoyant dos à dos les belligérants pour leur aveuglement !
Enfin cette phrase : "il ne reste rien de cette époque qu'une Italie sans âme." Vous parlez de ce que suggère le film ou exprimez-vous une considération personnelle ? Dans le second cas, il me semble que les nombreuses traces architecturales du fascisme sont toujours bien visibles (et rénovées) en particulier dans le quartier romain de l'Eur ; que Salvini et Meloni portent haut la bannière !
Bon. Je prends mon lexomil et je vais faire un tour.
Cordialement.