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On ironise parfois (ou on se fait chambrer) sur le terme de "mise en scène". Eh bien, si vous cherchez ce que j'entends par là pour ma part, revoyez donc Thérèse : vous y assisterez à un modèle de mise en scène, c'est-à-dire de choix, d'options mûrement réfléchies, sur la place de la caméra, le décor, l'atmosphère, la couleur des costumes ou le rythme général et interne de chaque scène. On est en tout cas sidéré par la maîtrise formelle de la chose, qui n'empêche jamais une émotion directe et simple de s'exprimer, preuve que avec la mise en scène on peut arriver à déclencher l'émotion. A priori pourtant, rien n'est plus éloigné, dans le monde décrit ici, de notre monde contemporain à nous, même en 1986. Cavalier y raconte la vie de la petite Thérèse, jeune fille obsédée par son désir de rentrer au couvent pour se consacrer enfin pleinement à son bien-aimé : Jésus. Une fois la belle consacrée, une ou deux messes, trois prières, et la voilà atteinte d'une tuberculose qui l'enverra ad patres. Le cinéaste s'inspire de la vie édifiante de Thérèse de Lisieux, qui sera canonisée pour sa dévotion. Loin des clichés doloristes sur le sujet, loin de l'imagerie austère (mais sans l'oublier non plus), Cavalier filme une jeune fille "ordinaire" face à un destin extraordinaire, une femme véritablement touchée par la grâce, heureuse avec ses sœurs, dans le dénuement et la prière mais une femme capable de rire, de faire des petites blagues ou de regarder les hommes. Catherine Mouchet, elle-même touchée par la grâce, est une merveille de naturel et de vie, et l'univers construit autour d'elle semble une vraie déclaration d'amour non seulement au personnage, mais aussi à l'actrice.

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Cet univers est unique, bien que dans le lignée du travail de Cavalier : un dépouillement mystique, une austérité qui peut évoquer Dreyer ou Bresson, des décors réduits à leur strict minimum (une table, deux chaises devant une toile peinte unie, et c'est tout), une manière de vider l'écran, de tout ce qui pourrait compliquer la trame et le déroulé du scénario. Une manière qu'il poursuivra par la suite de chercher la plus grande simplicité, trouvant la beauté dans le dénuement. C'est très chrétien, oui, mais pourtant Thérèse n'est jamais lénifiant, ne tombe jamais dans la bondieuserie. Il a au contraire les deux pieds bien sur terre (même si la tête est dans les limbes), nous présentant en Thérèse un personnage très humain, très crédible ; et finalement pas si éloignée d'une jeune fille normale, avec cette différence qu'elle a choisi comme amoureux d'adolescente Jésus en personne. Par de courtes vignettes magnifiques, de véritables tableaux composés au millimètre, photographiés avec sensibilité par Philippe Rousselot, de simples intérieurs rehaussés ici par une bougie, là par une porte, là par un voilage, il raconte ce parcours avec un sens du rythme incroyable : c'est souvent juste une image, une impression, un moment fugace, entouré de deux fondus au noir rapides. Derrière cette simplicité apparente, il doit y avoir un travail énorme pour atteindre une telle grâce. On sent toute la sensibilité de Cavalier dans ces plans dénudés, dans cette épure qui est aussi bien esthétique que mentale : un auto-portrait en même temps qu'un splendide exemple de cinéma à l'état pur.

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