Que du plaisir que cette petite vidéo-confession de Lynch qui revient comme un seul homme, face caméra et micro, sur le tournage (long : 5 à 6 ans de gestation) de son premier long-métrage mythique, culte, et déjà si merveilleusement incompréhensible (magnifique petite confession de Lynch sur le fil : voilà 25 ans que je lis des critiques, des analyses, personne n'a véritablement compris ce que j'avais vraiment en tête - ouf, ça me rassure... mais il a pas lu Shangols non plus, je pense). Il revient sur ces années passées comme "étudiant", au début des années 70, à l'American Film Institute... Ses profs marquants, ses rencontres professionnelles, un scénario qui n'en finit pas de ne pas se faire et puis la décision d'attaquer Eraserhead avec un scénar d'une vingtaine de pages... Il faudra investir des lieux (immenses), s'entourer d'une équipe de techniciens, fidèles, et choisir des acteurs (le choix est souvent rapide pour Lynch : ce type, là ? Oui, oui, très bien) pour aller jusqu'au bout de ce très très long tournage. Il raconte, tranquille, fumant sa clope, aidé parfois par l'intervention téléphonique de sa fidèle assistante-femme à tout faire Catherine Coulson avec laquelle il revient sur des anecdotes de tournage. Il est plus question de la coupe de cheveux de Jack Nance et d'anecdotes étranges de "transe" expérimentée par ses collaborateurs que du projet, que du fond du film. Lynch revient sur la conception "concrète" de cete oeuvre, la conctruction des décors, pour ne pas dire la rénovation du local dans son ensemble (on le voit pelle à l'appui - extraordinaire ce visage poupon : on croit reonnaître, bizarrement, sous certains angles, le futur visage de Kyle McLachlan !!!!...), le choix des lieux de tournage, l'investissement des acteurs, le génie de son chef-op ou encore la fabrication de la bande-son (à partir essentiellement de chutes de tournage d'un autre studio...). C'est un Lynch véritablement habité par son projet et habitant d'ailleurs sur les lieux-même du tournage (couchant dans le lit du héros pendant toute cette période...), un cinéaste qui s'est dévoué corps et âme à cette première réalisation - qui fera heureusement date... Une sélection pour Cannes bêtement ratée et un Lynch qui, un soir, décide de couper cette oeuvre de quatre heures en 90 minutes... On ne désespère pas de voir un jour cette version "complète" ou au moins de visionner quelques-unes des scènes coupées précuiesuement gardées par Lynch. Si on ne pénêtra pas vraiment dans les fissures du cerveau de Lynch, on a droit ici à un très beau récit en toute simplicité sur cette aventure de cinéma marquante, de par la nature de cette oeuvre, et de par la naissance effective de ce cinéaste résolument venu de nulle part. On t'aime, Lynch, on l'a dit déjà.
Festival du Film Fantastique et de SF. Le cinéma le Rex. 3 étages. 2700 places qui seront prises d'assaut dans 2 heures.
On piétine dans la file d'attente dehors.
Une poignée de petits malins, dont je suis, a négocié à droite ou à gauche un laissez-passer + ou - valable, + ou - bricolé. On se fera jeter. Ou pas. Au moins, on aura essayé.
Le vénérable Rex, Die Deutsch Kino du Paris de l'Occupation, est devenu en cette fin des années 70-début 80, une vaste aire de jeux transgressifs et de débordements au moment du Festival du Film Fantastique.
Dans un mois, à Noël, il changera de visage. Il enverra sa "Féérie des Eaux" aux mirettes des chères têtes blondes pour la sortie du Disney annuel.
Pour l'heure, place aux grands malades, aux tarés, et aux dingues !
C'est ainsi que, à l'époque, on qualifiait amateurs de Hammer, fondus de Bava, amoureux de Corman...
Bon, soyons francs: il y avait aussi et surtout un tas de merdes, des films innommables, des bouses disparues dans les poubelles du Temps. Ceux-là étaient vite repérés (c'étaient les préférés des frères Bogdanov souvent présents). A ces films-là (nombreux), toute la salle commentait, hurlait: "Fais gaffe! Derrière toi ! Derrière ! " à l'héroïne coursée par le serial killer. Ou bien, dans un film italien, le héros passant devant l'écriteau d'un marchand de sodas, la salle entonnait illico sur l'air des lampions: "Bibite! Bibite!" (Bibite= boissons en italien)
Eraserhead, donc.
Les petits veinards qui ont déjà vu le film à Avoriaz en rajoutent à voix haute, et font baver les ringards de la file d'attente.
20h.
On entre. Enfin moi (franchement, ch'ais pas pourquoi) et les autres. Certains restent en rade sur le trottoir (j'aurais pu, tout aussi bien).
Tout le monde part en flèche dans les escaliers et escalators façon "Quand La marabunta gronde" (mais vous préférez "The naked Jungle")
Du haut du 3e étage, des facétieux déroulent du papier hygiénique par kilomètres en direction des étages inférieurs. Jettent des linguine. Mieux vaut choisir une place abritée: la mezzanine. Le strapontin y est cher, car chasse gardée de la presse. Mais il y a du surplus, hé, car les journalistes sérieux ignorent ce grand raout de pervers.
Eraserhead, enfin.
1er choc du Noir et Blanc. Rare à l'époque. Et puis, ce N&B-là ! !
2700 Rires nerveux quand l'ascenseur se referme en glissant sur l'homme aux cheveux en l'air.
2700 silences quand sanglote la Chose dans ses langes...
2700 glurps collectifs et bien audibles chaque dix minutes...
L'expérience est assez saisissante pour que les sensations demeurent encore très nettes.
Jamais revu le film. Pas envie de mélanger cette séance de 1979, inoubliable, avec une en 2023, possiblement plus...blasée. Forcément décevante; et destructrice de la première.