Comment, quand on est pas une flèche et qu'on n'est pas le fils de Bolloré, parvenir au sommet du succès, admiré par les gueux et jalousé de tous ? Lydie Salvayre joue les coachs en sucessologie, et nous aide à tracer notre voie au milieu des réseaux sociaux, des succès télévisés et des cocktails à petits fours, avec à la clé le sacro-saint sésame ; parvenir à être connu. Le temps d'un quart d'heure warholien peut-être, pour son incompétence peut-être, pour des mauvaises raisons peut-être, mais connu, et surtout plein de pognon et influent. Ce beau programme est décliné dans un faux manuel de développement personnel écrit dans les règles de l'art, titres de chapitres qui claquent et slogans positifs en police 25. Comment parvenir à amener son pauvre roman mal foutu chez Hanouna, comment critiquer une œuvre qu'on n'a pas lue, comment se créer de l'entregent, qui flatter et qui mépriser, de qui se rapprocher et de qui s'éloigner, enfin toutes les règles du savoir-devenir dans une société compétitive et capitaliste gouvernée par TikTok et le tout-dollar. C'est l'indignation, on le sent bien, qui a guidé Salvayre pour écrire ce pamphlet très drôle mais très désabusé sur la société d'aujourd'hui. Elle use d'un ton toujours drolatique qui désamorce la gravité de ce qu'elle raconte, mais on sent derrière tout ça pas mal d'énervements face aux fausses gloires du petit milieu médiatique ; en particulier de celui littéraire : elle s'acharne remarquablement sur tous ces faiseurs de bouquins au kilomètre, les poètes maudits comme les écrivains installés, les faiseurs d'auto-fiction comme les auteurs d'essais éphémères, ne s'excluant d'ailleurs pas elle-même du lot. Et on ne peut que reconnaître que, malgré le soupçon de réactionnarisme que ça comporte, elle a bien raison dans le choix de ses cibles.
Certes, le texte fustige des cibles convenues, rejetées par tous en tant que telles (mais pour autant adoubées par la masse dans l'ombre !), et on a parfois l'impression d'une attaque un peu facile contre les connards qui nous fascinent à la télé ou sur internet. On est d'accord, il vaut mieux lire Rimbaud que E.E. Schmitt, et on n'a pas besoin des conseils de Salvayre pour le savoir. N'empêche : il y a dans cette colère une saine réaction au monde qui nous entoure, et elle déclenche un humour souvent savoureux. Le livre, trop répétitif, mal fagoté, mal conçu peut-être, est le résultat d'une réaction à vif, visiblement écrit assez vite sous le coup de l'émotion. Et cette réaction épidermique fait tout le sel de la chose : on jubile aux colères de la dame, on rigole au jeu de massacre, on ricane devant le cynisme affiché de ces slogans pourris, et on admire le ton qu'elle parvient à garder du début à la fin : rester dans le cadre de ses conseils en coaching, tout en disant le contraire de ce qu'elle promeut. Si bien que le livre peut se lire au premier degré, sur un malentendu il peut passer pour un vrai livre de conseil en succès. Machiavel, souvent cité, peut se frotter les mains : il a trouvé une descendante moderne très compétente dans son éloge de l'arrivisme ; Schopenhauer, lui aussi pris souvent en modèle, peut reconnaître en Lydie Salvayre une élève délicieusement acide. Sous de telles nobles ombres, difficile de ne pas craquer pour ce petit livre colérique et hilarant.