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Shangols
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21 février 2023

LIVRE : Trois Femmes disparaissent d'Hélène Frappat - 2023

af78794e10dd964e7bfbcb71c99cebde408c9f7eaca1e1d25c498dbed3bc8d7dHélène Frappat étant pour moi l'écrivain la plus sexy de la terre (une femme qui sait parler aussi bien du cinéma de genre et du gore ne peut que déclencher mes fantasmes), vous imaginez bien que voir son nom associé à un livre sur Hitchcock ne pouvait déclencher qu'une série de danses ridicules de ma part. D'autant que pour ce faire, elle use d'un biais très original et inattendu. Trois Femmes disparaissent s'intéresse en effet à trois générations de femmes célèbres qui se sont soustraites du cinéma, qui ont disparu en tant que stars, qui ont choisi de se retirer ; trois femmes membres de la même famille, avec pour commencer la plus célèbre de toutes : Tippi Hedren. Le livre revient de façon assez angoissée aux rapports de l'actrice avec son mentor Hitchcock, à la torture mentale et physique qu'il lui a imposée sur Les Oiseaux, au harcèlement sexuel très pervers qu'il a exercé sur elle, à la sorte de main-mise qu'il avait sur ses fréquentations, sa manière de s'habiller, sa vie. Les mots qu'elle ose sur cette manipulation sont parfaitement justes, violents, marquants ; à l'heure de la prise de parole des actrices sur l'emprise des hommes, ce texte claque de façon cinglante. C'est que Frappat a une manière poétique de traiter ses sujets : sa langue, scandée, allant parfois presque vers la versification, n'hésitant pas à revenir encore et encore sur les mêmes motifs (ici, l’œil de Tippi frappée par un oiseau, ou ce téléfilm de l'actrice au milieu de ses fauves), développe un rythme étrange, une façon très singulière de parler des choses. Le livre est un documentaire, si on veut, mais c'est surtout une évocation hantée, triste, violente, mélancolique, du destin de cette femme prise dans les rets d'un cinéaste plein de frustrations et d'obsessions, assis sur son pouvoir et franchement pervers. 

A la suite de Hedren, est évoquée la carrière de la fille de celle-ci, Melanie Griffith. Et c'est comme si une sorte de malédiction se transmettait de mère à fille. Non seulement Melanie a commencé sa vie d'actrice en étant elle-même attaquée par des bêtes (les lions de sa mère), mais elle a depuis toujours été utilisée par les cinéastes qui l'ont engagée comme objet sexuel, ou en tout cas comme image fantasmatique. Comme si l'emprise d'Hitchcock était éternelle... Puis c'est au tour de la fille de Griffith, Dakota Johnson, qui, elle, a tourné carrément dans le film qui illustre le mieux la domination masculine : 50 nuances de Gray. Ces trois actrices, après avoir subi les regards concupiscents des cinéastes, voire leur harcèlement, ont disparu des écrans, comme si elles n'avaient existé que pour leur potentiel érotique, que pour leur iconisation et leur objectivisation en tant que proie. A travers cette famille exemplaire, c'est à une petite histoire de la domination masculine au cinéma que s'adonne Frappat, pointant la malédiction qui passe, de décennies en décennies, d'une actrice à l'autre. Elle le fait dans un texte poétique et indigné, mais aussi très affûté et pertinent. Elle a compris que le cinéma, et peut-être la littérature aussi, fonctionnait par images obsessionnelles, par influx nerveux : en revenant ainsi sans cesse sur les mêmes motifs marquants, en fouillant jusqu'à la folie la symbolique des images, des détails de la vie de ces trois actrices, elle écrit un texte obsédant, très visuel, et très personnel à la fois. Et nous offre par la bande une attaque en règle contre le comportement de Hitchcock, en même temps qu'un hommage à son cinéma de motifs et de fantasmes. Excellent livre tout d'intelligence. (Gols 24/01/23)


 

LW5TO4GAUJDE5JMYZ5UY5EYPEEUn petit bouquin, en effet, qui marque des points, capable tout à la fois d'évoquer la malédiction de ces trois femmes dans leur rapport au cinéma tout en évoquant avec intelligence ce monde sans pitié du cinéma, en général, et le cinéma d'Hitch en particulier - l’incontournable, l'inébranlable Vertigo, revenant souvent au centre des propos. Tippi abusé par son mentor (le portrait d'Hitch sur et hors plateau est véritablement glaçant... serait con qu'il finisse par faire parti, ce monstre ombrageux, de la cancel culture...), Mélanie utilisée sans cesse pour ses gambettes (citez un film avec Mélanie Griffith où elle n'apparait pas en porte-jarretelle et gagnez un an d’abonnement à La Croix), Dakota usée jusqu'à la corde par ce type sans nuance qu'est Grey... Trois femmes qui marquèrent la pellicule mais qui disparurent presque aussi vite des plateaux pour ne pas finir en gruyère... Des plaies, elles en subirent en effet, martyrisée que la première fut par des corbeaux sous l’œil concupiscent d'un Alfred, martyrisée que la seconde fut par des lions sous l’œil irresponsable de sa mère, martyrisée que fut la troisième pour avoir notamment participé au remake de Suspiria (un rafistolage qui s'effectua cette fois non point chez le médecin mais chez le psy). Si Frappat est relativement forte pour tendre des fils entre toutes ces femmes, pour revenir sans cesse sur certains points communs et pour filer les métaphores, notons tout de même que l'ouvrage est en grande partie écrit à partir des mémoires (traduites par Frappat pour cet ouvrage) de Tippi Hedren - des révélations qui sont un peu de seconde main, disons-le ouvertement, mais que Frappat sait pleinement utiliser à profit pour illustrer sa thèse, pour nourrir ses thématiques. Les mots que scande Frappat nous sonnent et le (grand) cinéma (d'Hitch) d'en sortir peu grandi. (Shang 21/02/23)

Commentaires
H
Hello Shang et Gols,<br /> <br /> <br /> <br /> En leur temps, je n'avais pas voulu réagir avec circonspection à vos textes ci-dessus, n'ayant lu que certains des précédents livres de Frappat — qui m'avaient passablement ennuyé. Je me demande toutefois si vous maintiendrez votre avis à propos de cette dernière après écoute de ceci :<br /> <br /> https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-temps-du-debat/barbie-hollywood-sait-il-etre-subversif-2718652<br /> <br /> <br /> <br /> Elle y est horripilante, pas seulement parce qu'elle porte 'Barbie' en très haute estime et que ses propos s'avèrent (pour rester indulgent) systématiquement moins intelligents que ce qu'ils semblent croire être, mais parce qu'elle se conduit de manière particulièrement malpolie et prétentieuse par rapport à ses deux co-invitées (pas vraiment passionnantes elles non plus, mais qui ont le mérite d'une relative humilité).<br /> <br /> <br /> <br /> Décidément, pas du tout dingue de Frappat.
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M
A lire votre critique, on pense d'abord que c'est un essai ou un témoignage, alors qu'il s'agit d'un roman.
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K
merci pr ce post, qui m'a donné envie de le lire (dévoré en quelques heures)! un livre vraiment très intéressant, je ne regarderai plus "Les oiseaux" avec le même regard!
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A
Très très percutant le destin de ces trois femmes, cependant l'aspect poétique de l'écriture me fait un peu hésiter ...
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