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19 janvier 2023

LIVRE : Les Sources de Marie-Hélène Lafon - 2023

f7136699139d6c52fe7c515c5fe31e79948f97bff00c67903b5ac7fcde2c6aa2Toujours aussi sensible et fin, ce nouveau livre de Marie-Hélène Lafon semble, comme ses prédécesseurs, venir d'un autre temps, un temps où la littérature avait un autre statut, où on travaillait avant tout la langue avant de penser à faire des interviews sur TikTok. Cette pensée réac ayant été écrite, je développe : Lafon écrit sur des sujets, et dans une forme, qui n'existent plus. Côté sujet : on est dans les années 60 au fin fond du Cantal, dans une ferme à 'ancienne menée par un homme à l'ancienne, autoritaire, sévère, brutal avec sa femme. Le quotidien turpide de cette exploitation nous est narré par la femme de cet homme, pauvre fille perdue qui, faute de caractère, d'éducation, de courage, de modèle, reste là, à subir la colère de monsieur et la trivialité des tâches domestiques, mère de trois enfants un peu terrifiés eux aussi, condamnés sûrement à reprendre la ferme et point final. Sauf que les temps changent, le monde aussi, le regard sur la femme de même, et cette femme va être une des premières dans le coin à demander le divorce. On imagine la difficulté, l'importance de la prise de conscience chez cette femme brimée et anéantie. Lafon nous raconte cette lente métamorphose, celle de cette femme mais aussi celle de la société, lointaine das ce coin reculé, mais pourtant bien présente ; elle raconte les réactions que cette décision a eu sur le mari, et sur la génération suivante. Beau sujet, guère original, certes, mais traité avec toute la finesse dont on sait Lafon capable. C'est subtil, délicat, pertinent, juste. On sait la profonde connaissance qu'a l'auteur de ces petites gens du fond de la France profonde, son appétit inlassable de les décrire et de les comprendre, son amour immodéré pour eux et leur pays (qui est aussi le sien). Ce livre-là, en restant dans cette veine mais en apportant le petit plus de cette modernité qui jaillit dans cet univers, est un de ses plus justes et de ses plus beaux. La gorge se serre doucement devant ces petits caractères d'une authenticité sans faille, qu'ils soient d'un côté de la barrière ou de l'autre : le portrait de cet homme en plein déni de sa violence, seul et déjà à moitié mort, pris dans la tourmente de la mort de la paysannerie, est tout aussi émouvant que celui de la femme battue.

Au point de vue de l'écriture, Lafon poursuit son œuvre anachronique. Le choix des mots, la précision grammaticale, la puissance à l'ancienne des images, tout semble relier cette littérature-là à l'ancien temps. Peut-être à un Giono, cité en exergue et qui a travaillé comme elle sur la nature de ruralité ; peut-être à un Flaubert dans la cruauté des caractères et la profusion du vocabulaire ; peut-être à un Calaferte dans l'érudition et l'exigence de l'écriture, précise et acérée, prise avec sérieux, déifiée presque. On sent, quand on lit ce livre, qu'on lit une œuvre qui a demandé du travail à son auteur, qui a été polie, réfléchie, ouvragée artisanalement. Moi, un auteur qui traite l'écriture comme quelque chose d'important, qu'est-ce que vous voulez, je ne peux que respecter ça, et même l'admirer. J'admirerai donc Les Sources comme il se doit, et saluerai la bonne Marie-Hélène comme la dernière Mohicane d'une manière d'écrire qui disparaît.

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