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Shangols
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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
14 janvier 2023

Pacifiction (2022) de Albert Serra

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Jusqu'à présent, Serra (certes, je n'avais tenté que son premier film) m'avait laissé froid, pour ne pas dire dépité... Avec ce Pacifiction, que j'étais prêt à détester pour ne pas hurler avec les loups de la cream de la critique, il me réjouit, oui, tout bonnement, il me réjouit. Pour la bonne et simple raison, je vais faire brut, que son personnage principal est absolument fabuleux et joué (Benoît Magimel, César + Oscar) avec une roublardise extraordinaire : charmeur, pure fraude, à hauteur des gens, hautain, cajoleur, menaçant, doucereux, amer, ce personnage de De Roller (nom que Serra trouve rien qu'en soi proustien : il n'a pas tort) est une sympathique enflure politique de premier ordre, une baudruche à paillettes plus vraie que nature ; j'en ai rencontré, pour ma part, des types comme lui, à l'étranger, dans les ministère, les ambassades, les rectorats, tous ces merveilleux palais de la sueur pour gens tellement compétents qu'ils ne servent plus à rien, et ce type semble les condenser tous : il parle, il parle, il parle, merveilleusement bien, il n'agit jamais, mais il assure les gens de son soutien, oui il va les aider, oui, il est là pour eux, oui, il s'oublierait lui-même dans sa tâche... Il ne comprend pas grand-chose à cette terre étrangère, mais il veut tout contrôler, il pense tout contrôler même, mais tout lui échappe... Dans ce décor de carte postale qui s'assombrit au fil du temps, Serra filme plein cadre ce personnage, un personnage pratiquement dans tous les plans, au centre même, organisant autour de lui son monde, avant que tout se délite, tout lui échappe, personnage à jamais figé dans la nuit, dans la lumière bleutée des stroboscopes qui ne fait ressortir que ce visage mortuaire, que cette silhouette annihilée...

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On pourrait encore en dire tant et tant sur ce personnage hâbleur, sur sa tenue, ces chemises de kéké sous cette veste blanche d'aristo d'un autre temps, ces lunettes fumées qui collent à la perfection avec ses paroles fumeuses, sur son ton, conciliant, vulgaire au besoin avec les petites gens, ampoulé éventuellement avec les pseudos littérateurs, creux, tout le temps ; il trouve en Shanna une magnifique partenaire de crime en communication, toute en sourire, toute en apparence séduisante, mais une vraie bulle de savon quand il s'agit de dire ce qu'elle pense. Leurs échanges, pour la galerie, en public, ou en toute intimité, sont absolument fantastiques : plus on sent de la sincérité entre eux, plus on sent le vide absolu des mots... Mais de Roller, même s'il ne sait rien quant à ses rumeurs sur de nouveaux essais atomiques, tente jusqu'au bout de se battre, est pris dans cette spirale de recherche de la vérité : mais tout se dérobe sous ses pieds, il n'y autour de lui que de l'obscurité (Serra ne peut s'empêcher, avant de se recentrer sur l'amiral, de nous servir un long couloir muet un peu chiant - de Roller errant, poursuivi par les ombres de ces espions de pacotille : il ne peut s'empêcher de vouloir étirer le temps jusqu'à la chienlit, on lui pardonnera pour une fois) ; ce monde, tout haut-gouverneur qu'il soit, tout plein de malices qu'il soit, tout expérimenté qu'il est, il ne le comprendra pas, ce monde tahitien d'ailleurs tout comme ce monde "géopolitisé" qui, de toute façon, semble un peu échapper à tout le monde (je referme le chiasme). Toutes ses belles paroles susurrées, de jour comme de nuit, vont se perdre quelque part en mer... Ce n'est sans doute pas si grave, il a su incarner à la perfection cette si belle façade française, il a su jouer à merveille son rôle de représentant du décorum politique.

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On est comme hypnotisé par ce personnage, extatique devant la violence, qu'il s'agisse d'une danse en hommage aux combats de coq ou à la fougue des flots (incroyable scène que celle de la compétition de surf), ayant toujours besoin de se mettre en scène, de voler la vedette, de montrer sa grandeur de Don Quichotte en costar en toute occase, aussi inutile au final que le Don... Serra nous sert un film troublant sur un personnage troublé qui prend sa charge à cœur et qui écœure : trop de sucre, trop de miel dans cet univers dans lequel il joue à la perfection son rôle sans trop savoir au final qui tire les ficelles de ce scénario infernal. Serra nous englue dans son monde et l'on prend un plaisir terrible (l'humour constamment sous-jacent dans ces discussions si sérieuses et si toc) de se faire happer comme une petite mouche dans son piège cinématographique. T'es un prince, Albert, tu m'as piercé à jour.  (Shang - 30/12/22)

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En total accord avec Shang sur ce film réalisé pourtant par un type qui a le don de nous diviser (bien aimé pour ma part le truc sur Louis XIV) : c'est du très grand art. Shang est revenu avec amour et précision sur le personnage effectivement génial de De Roller, un modèle d’ambiguïté, de double lame, mélange de veulerie, de sarkozysme bas du front, et de noblesse malgré tout quand il se met à être obnubilé par cette angoissante question de la reprise des essais nucléaires à Tahiti. Il est revenu également sur le génie total de Magimel, on est d'accord que son travail est énorme, le fruit peut-être d'improvisations parfaitement dirigées par Serra. Je m'attarderai donc plus sur les ambiances parfaites mises en place par le cinéaste, qui joue justement de la longueur des plans, du ralenti des gestes, du vide parfois total de ses cadres pour vous plonger dans une atmosphère d'hébétude, de rêve éveillé, légèrement inquiétante. Le film est nimbé d'une inquiétante étrangeté comme (pardon, Shang, tu vas t'étrangler) les films de Weerasetakhul ou de Pedro Costa. Serra étiiiiiire ses plans et ses séquences jusqu'à les vider de leur substance et leur faire exprimer autre chose que ce qu'elles semblent exprimer. C'est ce mystère qui m'a le plus marqué pour ma part : scènes de boîtes de nuit où les putes croisent les notables, où les dealers traitent avec les marins de passage, plongées dans une torpeur moite évoquant le climat des îles en même temps que la déviance des esprits ; scènes de dialogues entre élus, trop banales pour être honnêtes ; scènes de flatterie de De Roller pour calmer les esprits qui s'échauffent, combats de coqs poli en surface mais tendu à l'extrême par la virilité programmatique des protagonistes ; scène de visite au concours de surf, effectivement sommet du film, où on croirait voir Poutine tant est poussé le cliché de l'homme couillu prôné par Magimel ; scène finale, presque fantomatique, qui dévoile enfin l'horrible dénouement du mystère. Tout ça est non seulement sidérant visuellement (qui, franchement est capable de tels plans, de tels rythmes ?), mais aussi approfondissent le film jusqu'à l'énigme : on sent qu'on nous raconte beaucoup plus que l'histoire d'un politique sur une île exotique, mais qu'il est question là-dedans de cosmos, de place de l'Homme dans la nature et par rapport aux autres, de guerre larvée, de colonialisme mal digéré... Tout ça est induit par la seule lenteur des plans, par la seule place de la caméra face à tout ça : c'est sublime, allez, et on a trouvé ici un des tout meilleurs films de l'année... voire plus.   (Gols - 14/01/23)

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