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20 décembre 2022

LIVRE : A la Recherche du Temps perdu II - A l'Ombre des jeunes Filles en Fleurs de Marcel Proust - 1918

"Swann était de ces hommes qui ayant vécu longtemps dans les illusions de l'amour, ont vu le bien-être qu'ils ont donné à nombre de femmes accroître le bonheur de celles-ci sans créer de leur part aucune reconnaissance, aucune tendresse envers eux ; mais dans leur enfant ils croient sentir une affection qui, incarnée dans leur nom même, les fera durer après leur mort."

51S1-B3lS3LAh sacré narrateur, toujours aussi passionnément amoureux de l'amour sans jamais vraiment trouver celle qui lui ouvrira son coeur... Mais le souhaite-t-il vraiment, hein, au fond, cet homme qui vit dans l'espoir de, qui imagine que, mais qui face à la réalité des choses ne peut que se montrer immensément, indéfiniment déçu... hanté par la vision d'une Gilberte avec un autre homme, ou le regret de ne pas avoir pu embrasser une Albertine quand tous les voyants étaient au vert... Heureusement, dans son entourage, les jeunes filles en fleurs vivent en bouquet... On est en tout cas ici tout meurtri, dans la première partie, de le voir se faire un devoir de ne plus voir Gilberte, en espérant qu'un jour celle-ci réagisse, lui dise qu'il lui manque, ce qui, on le sait d'avance, n'arrivera jamais... Si on ne meurt pas aux pieds d'une femme les bras en croix pour lui dire qu'on l'aime, elle passera inexorablement très vite à autre chose. C'est une question de fierté, généralement... Notre pauvre narrateur souffrira sa mère lorsqu'il aura la vision de cette Gilberte au bras d'un autre... Heureusement, homme de sagesse, au moins a posteriori, il sait que cette image terrible, un jour, finira par n'être qu'un mirage ("Mais ces idées, comme un remède qui n'agit pas contre certaines affections, étaient sans aucune expèce de pouvoir efficace contre ces deux lignes parallèles que je revoyais de temps à autre, de Gilberte et du jeune homme s'enfonçant à petits pas dans l'avenue des Champs-Elysées. C'était un mal nouveau, qui lui aussi finirait par s'user, c'était une image qui un jour se présenterait à mon esprit entièrement décantée de tout ce qu'elle contenait de nocif, comme ces poisons mortels qu'on manie sans danger, comme un peu de dynamite à quoi on peut allumer sa cigarette sans crainte d'explosion.") En attendant cette guérison, comme pour garder malgré tout la face, il continue de voir la mère de Gilberte, la fameuse Swann, s'entretenant avec elle dans son salon ou l'accompagnant sur les Champs ; ce n'est pas la partie la plus passionnante (huit pages - en trois phrases - sur une toilette de la dame, c'est longuet) mais celle où l'on prend conscience que notre homme, restant malgré tout dans la compagnie des femmes, demeure un modèle de patience...

Mais l'amour, hein, est-ce bien utile ? Bien sûr, et c'est bien la seule chose que va continuer de poursuivre contre vents et marées (normandes) notre jeune héros ("La vie est semée de ces miracles que peuvent toujours espérer les personnes qui aiment.(...) D'ailleurs pour tous les événements qui dans la vie et ses situations contrastées se rapportent à l'amour, le mieux est de ne pas essayer de comprendre, puisque, dans ce qu'ils ont d'inexorable comme d'inespéré, ils semblent régis par des lois plutôt magiques que rationnelles.") La seconde partie de cet ouvrage, à Balbec, est forcément beaucoup plus belle et prenante. En convalescence, dans cet hôtel de bord de mer, notre jeune homme parviendra à se lier d'amitié avec deux figures locales (Saint-Loup et le peintre Estril) mais surtout à croiser cette bande de filles, qu'il nose approcher dans un premier temps mais dont, dès qu'il fera leur connaissance, il ne pourra plus se passer. S'il s'avère un ami guère loyal, guère fidèle (il préfère, avoue-t-il être seul... ou en compagnie de ces charmantes personnes), il aura tôt fait de focaliser ses désirs sur l'une de ces jeunes filles... Les femmes, seules capables de faire véritablement changer les hommes (en bien) ("[Ceci] me permettait de me rendre compte à quel point les femmes avec lesquelles ils vivent affinent les hommes."), les femmes dont l'inaccessibilité même est parfois source de sentiments amoureux, autant dire de douleurs à venir ("On peut avoir du goût pour une personne. Mais pour déchaîner cette tristesse, ce sentiment de l'irréparable, ces angoisses qui préparent l'amour, il faut - et il est peut-être ainsi, plutôt que ne l'est une personne, l'objet même que cherche anxieusement à étreindre la passion - le risque d'une impossibilité."). On compatit pour notre pauvre amoureux transi qui, après avoir tant attendu, après s'être enfin approché de celle qu'il convoitait, après avoir entrevu l'opportunité d'un amour partagé, devra vite aller se rhabiller... Et prendre son parti - ou disons un autre parti - ou pas... Mais au-delà de ces premiers tourments amoureux énoncés ici, on reste charmé par la façon dont ce narrateur tente de rendre subtilement la physionomie, le caractère de ces femmes, de décrire les discussions passionnées qu'il a sur l'art avec ses proches, de peindre cette amosphère, ce décor de bord de mer dont chaque nuance de lumière finit par avoir son importance. On aime l'attachement qu'il porte aux objets ("Mais dès que je retrouvai [les meubles de ma tante] dans la maison où ces femmes se servaient d'eux, toutes les vertus qu'on respirait dans la chambre de ma tante à Combray, m'apparurent, suppliciées par le contact cruel auquel je les avais livrées sans défense ! J'aurais fait violer une morte que je n'aurais pas souffert davantage."), tout autant que sa passion à s'attacher à la nature, à son sens caché (l'épisode de ces "trois arbres" qu'il croise, avec lesquels il se sent une affinité évidente... sans comprendre ce qui peut motiver cela, dans son passé, ou même dans son futur...), ou encore bien sûr cette façon de décrire ses états d'âme, évoquant souvent sa fébrilité, ses maladresses, mais le faisant toujours avec une évidente sincérité. On enchaîne avec la suite des aventures de notre jeune homme échaudé mais toujours fièvreusement décidé.

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