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7 décembre 2022

La Carrière d'une femme de chambre (Telefoni bianchi) de Dino Risi - 1976

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Dans le genre cruauté et violente ironie, on peut compter sur Dino Risi. Il suffit de regarder ce Telefoni Bianchi pour s'en assurer : de grosse farce au départ, le film glisse subtilement vers un ton macabre, tragique, pathétique du meilleur effet. Risi s'appuie sur une courte période de l'histoire italienne, celle des "Téléphones blancs" donc, période insouciante située juste avant la guerre, pendant la montée du fascisme, où tout paraissait léger juste avant la terreur de la guerre. On attrape la petite Marcella, femme de chambre passionnée de cinéma populaire et follement éprise des bellâtres qui surjouent de sucrés mélodrames sur les écrans. On suivra alors son pathétique et ambigu destin, depuis son statut de prolo jusqu'à son ascension en tant que comédienne de cinéma soutenue par Mussolini lui-même, en passant par la noble activité de prostituée, de michetonneuse pour papys riches ou musiciens exaltés, et d'exilée pourchassée par les anti-fascistes. Le tout sous l’œil de son fiancé du départ, Roberto, seul vrai petit mec sincère dans cette foire aux guignols, et seul qui ne mettra jamais la main sur sa belle. Une fresque traversant une certaine histoire du pays, la plus secrète peut-être, celle des accointances  et des collaborations avec le Duce sur fond d’allégeance et de fêtes endiablées, et qui impliquait les gens du cinéma les plus en vue.

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Le film est souvent drôle, parce que Risi, éminemment italien, insuffle là-dedans un rythme trépidant, un tempo de comédie irrésistible. Les acteurs cabotinent avec bonheur, les situations sont parfaitement écrites, il y a de la fesse et du mâle ridicule, des coups de pied au cul et des engueulades dantesques, et tout y est pour réussir une comédie à l'italienne tout ce qu'il y a de plus classique. Mais penser ça serait oublier que Risi est aussi un cruel portraitiste des mœurs, un ironiste cynique et mordant qui sait toujours mêler à sa comédie des éléments monstrueux, grotesques jusqu'à la grimace. Cette traversée des années 30-40 se teinte donc de plus en plus d'une violence sourde, qui se cache de moins en moins. Toute la deuxième moitié du film est un véritable obus de cruauté : les personnages, pris dans le tourbillon de légèreté du début, se retrouvent subitement entraîné dans le courant de l'Histoire, et pas forcément du bon côté. Le comédien cabotin et drogué (Gassman) finit dans la déchéance, dans une séquence pathétique qui fait froid dans le dos ; le soi-disant sauveur de Juifs les balance sans vergogne (impressionnante composition de Ugo Tognazzi en bossu monstrueux et sirupeux, rampant pour récupérer les quelques sous gagnés grâce à sa délation) ; le fiancé honnête traverse toutes les épreuves de la guerre ; et l'héroïne elle-même, malgré son côté candide et sympathique, est une écervelée qui se prostitue au fascisme, au désir des hommes et au cynisme pour parvenir à ses fins, qui ne peut accéder à son but qu'en couchant avec tout le monde. Triste, triste, triste portrait d'une humanité vendue, que Risi regarde avec un mépris qu'il ne dissimule pas. Le rire se serre dans la gorge en constatant avec quelle violence le bougre nous montre cette humanité en temps de fascisme. Le film reste une comédie, et une excellente ; mais c'est le sarcasme qui reste en tête. Pas un personnage pour sauver l'autre là-dedans, on sort du truc tout remué. Glacial.

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