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19 novembre 2022

Canal Zone de Frederick Wiseman - 1977

Sans titre

Loisirs et travaux de la petite communauté américaine installée dans la zone du canal de Panama, plaque tournante du commerce mondial, où se croisent les paquebots chargés à bord. La période 1977-1982 n'étant pas celle que je préfère chez Wiseman, qui à mon avis se perd un peu dans son propos à cette époque, Canal Zone ne sera pas qualifié de chef-d’œuvre ici. Film très agréable pour autant, et qui ne change en rien la méthode de toujours, celle qui l'a suivi depuis ses débuts jusqu'à aujourd'hui : se planter à un endroit pendant de longs mois, tout filmer, et tenter de rendre en quelques heures l'exhaustivité du lieu, ses grands événements comme ses plus petits détails. C'est simplement que dans cette fin des années 70, les endroits choisis manquent un peu d'intérêt. Un an avant un de ses moins bons films (Sinaï Field Mission), le compère se fourvoie déjà dans un projet flou, en choisissant donc ce carrefour des cultures, des races et des sensibilités, pensant certainement y trouver matière à réfléchir à l'état du monde. Mais, atavisme américain oblige, Panama se trouve très vite déjouer les attentes de Wiseman : il ne se passe rien de particulier là-bas, juste des Américains qui bossent, qui jouent au billard, prient, mangent et picolent, comme partout ailleurs en Amérique et dans les autres pays. Juste ils sont nostalgiques de leur coin de Texas ou d'Iowa, et rêvent de retourner à leur retraite boire une bière fraîche dans leur fauteuil à bascule. Comme glamour, comme exotisme, on fait mieux. Aussi le film change d'axe, et devient au final un portrait de l'Amérique en 1977, sujet après tout aussi intéressant et même assez singulier : c'est comme si ce petit coin du monde état devenu l'archétype du mode de vie à l'américaine, concentrait sur un petit périmètre toutes les caractéristiques, grandeurs et petitesses des concitoyens de Wiseman.

canal-zone-1

Et le film devient intéressant par ce biais-là : on y voit des Américains assez sûrs d'eux, à peine sortis d'une certaine conception du colonialisme, côtoyer de loin les autochtones, filmés d'ailleurs comme des ombres muettes en arrière-plan. La vanité, l'orgueil, la supériorité toujours là quand on songe aux États-Unis joue ici en plein : les gusses n'ont fait que transporter leur univers dans ce nouveau pays, et continuent à vivre exactement comme chez eux, sans se mêler aux indigènes. Wiseman retrouve alors l'ironie qui caractérise plusieurs de ses films, la critique acerbe de son temps et de son pays. Mais il le fait ici de manière très subtile, filmant pendant presque 3 heures des gens qui se livrent comme si de rien n'était à leurs activités journalières, convaincus de leur suprématie. Là réside l'amertume du film, sans doute, dans la contemplation de bougres qui ne changent pas transplantés dans un monde qui change sans eux. Le territoire de Panama apparaît parfois comme les terres sauvages peuplées d'Indiens dans les westerns ; et c'est la même brutalité des envahisseurs américains, mais cette fois par la douceur, par le commerce, par le fric, par les marques, par la religion, bref par tout ce qui fait l'Amérique. Wiseman prend le risque de l'ennui en filmant ce presque rien, ce lent phagocytage d'une culture par une autre, presque invisible à l’œil nu. Et c'est vrai qu'il y tombe parfois, dans l'ennui. Trop long pour une fois (alors que le gars nous a habitués à des films-marathon), Canal Zone, une fois ses intentions dévoilées, peine à trouver son intérêt. On se contentera donc de regarder ces gens vivre, avec le regard triste de l'entomologiste désabusé. C'est déjà ça.

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