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Il est des films (ou des docs) pour lesquels on ressent avant même de les voir un élan de sympathie. C'était le cas avec ce "montage familial" de Bonzel (je me suis fendu de 2 euros pour le voir, en tout bien tout honneur : bel investissement) et le résultat est brutal : c'est franchement très bien, et j'ai pensé plus d'une fois à mon tour en le regardant, ce qui est souvent bon signe, au gars Bastien, notre spécialiste des projets vidéo personnels. Bonzel, on s'en souvient, fut avec le regretté Belvaux (Rééééémy) et le trublion Poelvoorde, le réalisateur du cultissime C'est arrivé près de chez vous ; et depuis lors, depuis trente ans ? Ben rien, quasiment rien au niveau cinéma... C'est aussi pour cela qu'on est d'autant plus content de le retrouver sur les traces de ses ascendants, fouillant tant et plus des tonnes de bobines de films, celles qu'il collectionnait depuis tout petit et celles qu'il a récupérées au fil des héritages familiaux... Car, croyez-le ou pas, mais certains de ses ancêtres s'acoquinèrent dès le début du siècle avec le cinématographe - et finirent donc par lui léguer quelques bandes (c'est le mot juste pour le coup, la famille aimant à mêler images et sexe...) qui méritent réflexion... Ou tout du moins quelques bobines qui permettent d'éclairer les vies plus ou moins lumineuses ou plus ou moins sombres de la famille Expedit (dont le changement de nom date de la guerre, le milieu de la Résistance n'étant pas la spécialité, on le verra, de certains de ses membres...). Bonzel nous livre un doc soigneusement illustré, usant non seulement des pellicules mettant en scène ses aïeux, mais également de tout un stock d'archives qui permet de façon adéquate de venir en complément de la voix off. C'est un immense travail de montage mais pas que, tant la vie desdits aïeux fut parfois assez croustillante - et toujours plus ou moins liée au monde de l'image.

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De Maurice Expedit qui côtoya les frères Lumière à notre bon André en passant par Lucette (à la cuisse légère) ou par le gars Jean-Paul (photographe tentant un temps de faire ses armes, en pure perte, dans le porno), il y en eut des gens dans la famille qui au cours du XXème siècle naviguèrent aux abords du monde du spectacle ou prirent plaisir à filmer ou photographier leur voyage, leur expérience, ou encore... les femmes de leur vie (ou plus précisément les "femmes de passage" de leur vie). Certains sont présentés de façon pas forcément très sympathiques (le sombre Jean-Paul, salopiot de délateur à la fin de la guerre pour une simple histoire de jalousie), d'autres attirent immédiatement notre adoubement (partir aux Etats-Unis, tomber amoureux d'une contorsionniste et finir homme canon dans un cirque, j'applaudis à deux mains) : différents destins, différents choix avec lesquels André trouve parfois de curieuses connivences avec sa propre existence (la belle idée (hallucinatoire) de "chaine" et de vies qui se répètent de génération en génération), alors même que d'autres parents (notamment son père, gros con de biologiste et de chasseur, guère présent dans son enfance) en prennent pour leur grade. André fait des allers-retours avec sa propre vie, ses expériences sexuelles, cinématographiques et sentimentales sans essayer de trop charger la mule : des réussites, beaucoup de ratés et un équilibre qui finit bon an mal an par venir. Sur une petite musique anecdotique de Biolay, un documentaire familial qui, par sa sincérité et sa modestie, son travail de fond (les affinités électives au sein de la famille) et son travail de forme (belle fluidité du montage malgré un kaléidoscope d'images qui nous fait traverser tout le siècle dernier), touche forcément tout amateur d'images et d'instants volés par ses petites caméras qui enregistrèrent des "fantômes" de moments heureux. J'aime beaucoup, oui.   (Shang - 13/10/22)

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Il a bon goût, n'est-ce pas, notre camarade Shang ? Sans arriver à son enthousiasme, et loin de placer ce film un peu bancal dans la liste des meilleurs de 2022, je dois pourtant avouer ma grande satisfaction, voire mon bonheur devant la chose, voire même, allez, les deux petites larmes écrasées discrètement lors de ce final bouleversant (le cinéma dans toute son essence : des mômes qui dansent en muet sur une musique ravageuse). Au rang des défauts : la voix off, que j'ai trouvée pour le coup très terne, mal tenue, mal utilisée, et qui annule pas mal d'effets qui auraient pu être émouvants. Bonzel aurait dû engager un comédien pour lire son texte (par ailleurs pas toujours très pertinent), le film y aurait gagné en profondeur. Autre défaut : celui d'arriver malheureusement trop tard, après toute la kyrielle de films du même genre, qu'on appellera "films d'archive introspectifs". Bonzel ne trouve pas sa voix propre au milieu de la mode ambiante, et livre une forme même assez banale (difficile de lutter contre un Franck Beauvais ou un Jean-Gabriel Périot dans l'exercice), montage un peu lourd d'images dont on cherche absolument à ce qu’elles soient signifiantes et qui ne sont souvent qu’illustratives. Pas mauvais élève, non, mais élève consciencieux et un peu trop sage, notre gars ne parvient pas au degré d'émotion derrière lequel il court pourtant. Enfin, un plan d'ensemble très confus et bordélique, héritage peut-être de l'esprit-punk des "années Rémy Belvaux" : Bonzel mélange tout, et on a du mal à le suivre dans toutes ces circonvolutions passant d'un souvenir d'enfance à un tournage à l'âge adulte à une évocation d'un de ses aïeuls à une simple rêverie, le tout dans un seul mouvement et avec des décrochages chronologiques trop acrobatiques. Et j'aime à la Fureur aurait eu besoin de plus de travail, à mon avis, ou d'un brin de plus d'intelligence peut-être, d'un projet mieux défini en tout cas.

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Mais une fois ces défauts relevés, il faut reconnaître que le film, à plein d'endroits, relève son pari haut la main. Bonzel est bien aidé par sa famille, il faut dire. La vie de ses aïeux est incroyablement tumultueuse et fun, et il hérite d'une lignée de fous, de pervers, de joyeux drilles, d'artistes et de drogués qui fait plaisir à voir. Ce qui ressort de tout ce magma d'images familiales, c'est le pouvoir de la pellicule à imprimer l'émotion, toute simple, directement. Ce sont des films amateurs qui captent pour l'essentiel des moments ordinaires, banals ; mais derrière cette façade c'est tout un monde de rapports humains, de désirs cachés, d'amour déclaré, de tendresse, de passion sexuelle, d'aventures qu'ils nous montrent. La plus belle partie à ce titre est celle montrant un des ancêtres de Bonzel filmer la femme qu'il convoite alors qu'elle se refuse à lui ; il la dénoncera à la libération comme amie des Allemands, et elle mourra sous ses yeux. La narration de cette tragédie associée aux images primesautières de la belle vous met immédiatement les larmes aux yeux. Tout comme les mettent ces images magnifiques de cirque, autre évocation d'un grand-père s'étant engagé comme homme-canon : on dirait du Cendrars. Peu à peu, le projet du film se dessine : parler de l'amour, le tu, le révélé, le secret, le refoulé, le clamé, le familial ou le sexuel, celui en tout cas qui a traversé les siècles de cette famille, toujours accompagné des films pour le documenter discrètement. Et du coup, le destin de tous ces gens qui nous sont inconnus devient un peu le nôtre. C'est toute la beauté du film que de passer de l'intime à l'universel de façon aussi subtile. Au final, maladroit et pas très tenu formellement, mais d'une touchante sincérité, Et j'aime à la Fureur est une vraie beauté.   (Gols - 25/01/23)

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