LIVRE : Qui se souviendra de Phily-Jo ? de Marcus Malte - 2022

On retrouve l'attachant et intrépide Marcus Malte pour un nouveau roman surprenant, normal. Le bougre, encore une fois, n'atteindra pas à la grâce du Garçon paru il y a quelques années, mais il écrit un roman tout à fait agréable, qui se lit avec un vrai bonheur, contenant une part de suspense, de mystère et de savante construction qui peut suffire à notre bonheur. Traversée de Covid oblige, le gars s'intéresse aujourd'hui aux théories du complot et à ces mystérieux "axes du Mal" qui auraient le contrôle sur nos vies. Dans un montage sophistiqué façon poupée russe, il commence par nous proposer le journal d'un inventeur révolutionnaire, qui aurait créé une machine qui recyclerait l’énergie produite par les mouvements de la Terre dans l'espace : une manne, puisque non seulement cette énergie serait inépuisable, mais aussi gratuite. Seulement voilà, selon notre homme, le Grand Capital ne verrait pas cette invention d'un bon œil, puisqu’elle constituerait une catastrophe pour son monopole sur l'énergie, et il ferait tout pour faire taire notre génie, sa famille et les témoins de sa réussite. Simple délire paranoïaque d'un fou à la professeur Tournesol ou vrai scandale industrialo-politique prônant le meurtre à grande échelle ? Complot ou foutaises ?

C'est alors un autre personnage qui prend la parole : il est tombé sur les cahiers constituant la première partie, et il se trouve à son tour embringué dans un réseau de soupçons, de filatures, de paranoïa, dans laquelle il entraine tous ses proches. Puis à nouveau un autre personnage qui a trouvé les notes de celui-ci, et qui à son tour... La construction est complexe, mais fonctionne parfaitement : elle permet au lecteur de peser le pour et le contre : d'abord convaincus de la folie de la théorie complotiste, les différents narrateurs plongent peu à peu eux-mêmes dans la peur et le doute. Et si, effectivement, nous étions aux mains d'une force capitaliste qui nous dépasse, et qui dans l'ombre nous élimine dès que nous avons le début de commencement d'une idée pour sauver la terre, guérir le cancer, rouler bio ou éviter la famine ? Documents et grandes affaires au dénouement ambigu à l'appui, Malte, très remonté, a choisi clairement son camp : celui du grand Complot mondial. Il pointe les trous béants des enquêtes, les mystérieuses disparitions, les arrestations arbitraires, et autour de sa petite affaire, brode toute une théorie de la manipulation à échelle mondiale, dressant ici une petite histoire de la propagande, écrivant là le portrait d'un de ces cyniques personnages tenant les rênes du pouvoir, qu'il oppose à la petitesse et à l'humanisme des grands inventeurs. Le tout dans un récit souvent haletant, mi-polar mi-thriller politique mais toujours à hauteur d'homme.

Malte sait écrire, on ne saurait lui ôter cela. Mais ici, il fait montre aussi d'un état d'esprit un peu lourd, et d'un humour qui ne l'est pas moins. Il a quelque chose de pas très fin dans ce roman clairement paranoïaque, qui pour démontrer sa thèse n'hésite pas à sortir l’artillerie lourde, se maquillant en romancier américain, convoquant anti-vax et gouvernement trumpiste, construisant des personnages et des péripéties un peu too much pour démontrer sa pertinence. Le livre constitue un bon suspense et se lit avec plaisir, mais on a au final un peu l'impression d'avoir été nous-mêmes manipulés par un auteur convaincu de son fait et qui aurait voulu nous le démontrer par l'exemple ; trop facile, on a plus souvent qu'à notre tour freiné des quatre fers devant les exagérations de la trame ou devant ces détails, et ça ne fonctionne pas. Comme Malte a abandonné le temps de ce livre ses expériences littéraires si convaincantes dans Le Garçon, on se retrouve avec un bouquin pas assez intéressant sur ses 600 pages, trop partial et écrit relativement classiquement. Le moins bon Malte depuis des lustres ; ça reste toujours un bon livre.

Comments

[Mitch Book fair]

Quand l'ami Gols commence à user de termes comme "agréable" , "attachant", "se lit avec plaisir"... Diable!

Je serais écrivain et lirais ça sur ma dernière publication , je me dirais qu'il s'efforce d'être courtois , qu'il ne veut pas me froisser juste parce qu'il veut (ou va) m'inviter à une signature dans sa librairie.