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17 août 2022

LIVRE : Chien 51 de Laurent Gaudé - 2022

9782330168339,0-8698731Longtemps que Laurent Gaudé ne nous avait pas offert un roman-un-vrai, empêtré qu'il était un brin dans les poèmes lyriques à trompettes ou les reconstitutions historiques ronflantes. La nouvelle est donc bonne : le voilà revenu, et qui plus est avec un livre vraiment passionnant, qui le fait renouer avec l'esprit de conteur, avec le suspense, avec les personnages crédibles, et avec un style beaucoup plus intéressant que quand il laisse éclater les fanfares. Sans rien renier de son lyrisme (d'ailleurs de retour de façon un peu lourdaude dans les dernières pages), il nous offre ici un polar de science-fiction (!) tout à fait cohérent, construisant méticuleusement et avec beaucoup de talent un monde parallèle auquel on croit. Et pour cause : la mégalopole qu'il invente ici est tellement proche de notre monde à nous qu'on a bien l'impression que Gaudé n'a que quelques années d'avance. C'est la vertu première de tout roman de SF qui se respecte : il faut qu'on puisse y lire notre société actuelle. Ici, donc, une ville tentaculaire séparées en trois zones, de la plus nantie jusqu'à la plus misérables, dans lesquelles chaque caste s'ébat sans avoir le droit de franchir la frontière entre les unes et les autres. Zem Sparak est flic dans la plus pourrie d'entre elles, la zone 3, où drogues, catastrophes climatiques, misère et gabegie déciment doucement la population sous le regard indifférent des autres zones. Un meurtre le fait pourtant côtoyer une flic de la zone 2, et va même le mener dans les ors de la zone 1 : à partir de cet homme retrouvé éventré sur un trottoir, notre flic va mettre à jour un sidérant trafic politico-financiaro-technologique commandité par les pontes de ce monde. L'enquête est parfaitement tenue, sans en faire trop, ménageant les surprises et les suspenses, on n'attendait guère Gaudé dans ce registre, dans lequel il s'ébat avec beaucoup d'aisance.

Il faut dire que son personnage est vraiment attachant : un Grec au lourd passé (le chapitre qui revient sur ses années de rébellion et sur ses trahisons forcées est un des plus beaux), récupéré par GoldTex, sorte de Big Brother économique rachetant des pays en faillite pour étendre son empire, hanté par la culpabilité et le temps qui passe, se réfugiant chaque soir dans la drogue et la nostalgie de son pays. Mélancolique, violent et désespéré, il va pourtant trouver dans cette affaire une façon de régler son compte à son passé... ou pas. Dans un style extrêmement fluide malgré les constants changements de point de vue, avec une maîtrise parfaite de la construction, Gaudé suit sa trame polardeuse avec talent, mais en profite, bien entendu, pour parler à la place des sans-grade et des démunis, on ne change pas un humaniste qui gagne. Car sous l'efficacité de l'enquête, sous le spectaculaire des séquences, se cache une nouvelle fois une véritable indignation contre les injustices de classe, contre l’humiliation que le pouvoir peut exercer sur les hommes, contre les renoncements que peuvent subir les individus face au rouleau-compresseur du libéralisme et de l'argent. Cette façon de maquiller sa colère sous le polar est beaucoup plus payante que quand Gaudé écrit des poèmes symphoniques ; on se retrouve gagné soi-même par la colère, on a envie d'en découdre comme Zem Sparak, on est portés nous aussi par le désir d'aller titiller les nantis satisfaits de la zone 1, l'indignation est contagieuse. Tout ça se communique grâce à une sensibilité touchante, à une véracité psychologique étonnante des personnages, à un univers très cohérent, à une écriture à la fois très incarnée et poétique, à un sens de la trame efficace... bref à un talent qui avait disparu depuis quelques temps, et qui se refait clairement entendre à nouveau. La rentrée commence bien. (Gols 17/08/22)


  Laurent Gaudé, Chien 51 (Actes Sud) Zones d'inconfortTout autant charmé que l'ami Gols par cette tentative littéraire dystopique de l'ami Gaudé. Il est question ici d'une société rachetée par de grands groupes, des lobbies tout-puissants, d'une société où chaque classe de la société se retrouve cantonnée dans des zones et le pire, c'est que tout cela est violemment crédible, comme si l'écrivain se contentait de rendre simplement visible ce que notre société est déjà devenue... De la science-fiction sociale comme on n'ose plus guère en faire doublée d'un aspect thrillerique tout aussi prenant : des corps éventrés, des crimes crapuleux, degeuuulâasses, que le gars Sparak et sa supérieure de la zone 2 vont tenter de résoudre ; on sent bien dès le départ, chez ces deux êtres qui suivent chacun leur instinct, qu'il s'agit tout d'abord de rendre justice à ces deux quidams affreusement assassinés... Ils enquêtent aussi bien dans la petite pègre minable locale que dans les hautes sphères du pouvoir... Est-il franchement important de connaître le vrai coupable ? Pas forcément... On sent bien dès le départ que dans cette société du plus riche, du plus puissant, tous les coups sont permis (et que les assassins ne sont par la force des choses que des reflets de cette société) : plus Sparak, ce grand nostalgique, cet être d'un autre temps, s'approche de la vérité, plus l'on sent que tout cela risque de lui exploser à la gueule... Il n'est pas bon dans ce monde ultra-surveillé, ultra-contrôlé, d'avoir encore de quelconques idéaux, d'espérer pouvoir préserver un quelconque sens de l'honneur... Gaudé trousse une intrigue qui tient en haleine où les nombreux rebondissements détruisent progressivement l’intégrité physique et morale de ses deux personnages principaux... C'est diablement tortin et tortueux... Gaudé parvient dans ce genre nouveau pour lui à garder tout le talent de narrateur qu'on lui connaît, sans trop tomber dans ces envolées lyriques qui finissaient dans ces dernières œuvres par devenir un peu trop voyantes et lourdingues... Un polar science-fictionnesque romantique français, on prend forcément en ce début de rentrée ! (Shang 17/08/22)

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