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3 août 2022

La Nuit du 12 (2022) de Dominik Moll

La-Nuit-du-12-de-Dominik-Moll-la-critique

Comme nos fans (plus que nos femmes respectives étrangement) sont proches de l'orgasme depuis que nous avons vu un film ensemble, on remet le couvert avec l'ami Gols pour une vision commune d'un nouveau polar. On reste cette fois-ci bien en France (dans la cinégénique vallée de la Maurienne) avec cette oeuvre de Moll qui va s'intéresser dans les détails à une enquête qui ne sera, comme on l'apprend dès le départ, jamais menée à son bout... Oups. C'est quoi l'intérêt alors, demanderont ceux qui sont en manque de coupables ? Eh bien justement de voir comment notre jeune enquêteur, droit dans ses bottes (Bastien Bouillon, une mer d'huile), va réussir à se dépêtrer de cette affaire qui ne va pas tarder, avec le temps, à le hanter. Au départ, Clara, une jeune femme, est retrouvée morte non loin de chez elle littéralement incendiée : un type lui a jeté de l'essence au visage puis l'a allumée - la torche humaine s'est éteinte quelques mètres plus loin... Immédiatement, on se dit que le coupable ne peut être qu'un homme jaloux : seulement voilà, on ne tarde pas à se rendre compte que la petite Clara collectionnait les aventures (une allumeuse allumée ? Allez jouer plus loin avec vos allumettes s'il vous plaît) et que les hommes qu'elle fréquentait n'étaient pas vraiment jojo : de petits branleurs, du cassos, du type violent (verbalement ou physiquement), des losers, et j'en passe : cet aéropage de mecs est véritablement peu reluisant et chaque type semble potentiellement pouvoir incarner le coupable idéal... Seulement voilà, aucune preuve décisive ne peut permettre d'accuser untel ou untel. L'enquête patine, l'enquêteur et surtout certains de ses sbires, perdent peu à peu leurs nerfs...

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Moll réussit le tour de force de nous tenir en haleine autour d'une affaire dont on sait depuis le départ que l'issue n'existe point : jeu des comédiens précis (Bouillon, très sobre, Lanners, son fidèle acolyte tout en frustration rentrée - puis moins ; des coupables benêts ou brutaux tout à fait crédibles), mise en scène efficace et réaliste, rebondissements nombreux (on court après cette super balle du coupable qui n'a de cesse de rouler sans qu'on mette jamais la main dessus), le film se suit avec un plaisir certain... On est malheureusement un peu moins convaincu par les petits effets de répétition qui se voudraient signifiants : l'enquêteur qui tourne en rond (sur son vélo), le coup des chats noirs (une fois ok, douze c'est trop) ou encore cette volonté soudaine d'introduire des femmes dans ce monde d'hommes entre eux (des assassins mâles que cherchent à débusquer des mâles plus ou moins phéromonés) ; on comprend vite, en voyant la juge (Grinberg, non merci la vie...),  ou cette nouvelle coéquipière de Bouillon qu'elles vont permettre d'ouvrir d'autres "perspectives", d'apporter de nouvelles approches : ce n'est pas idiot dans ce monde définitivement post meetoo, mais la démonstration a quelque chose ici d'un peu forcé, d'un peu trop voyant - et c'est dommage tant le film avait jusque-là fait preuve d'une grande finesse. Des petites réserves qui n'enlèvent rien au talent de ce que montre Moll (il en fallait bien un, jeu de mot) avec un joli sens de la mesure et cette capacité de nous plonger dans une atmosphère réaliste et tendue de bout en bout.   (Shang - 01/08/22)

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Gols revient pour la finition (femmes femmes femmes, créatures faibles et décevantes), et pour corroborer les sentiments de son compère Shang. Oui, voilà un beau film aussi passionnant dans les détails de son enquête (bien qu'on sache en effet depuis le départ qu'on va dans une impasse) que précis dans la documentation de son petit milieu (on croit dur comme fer à cet univers de flics entre eux, et on apprécie les petits détails authentiques qui lui donnent de la crédibilité), aussi irréprochable dans sa direction d'acteurs que mélancolique dans son fond. Si on passe effectivement sur la symbolique un peu appuyée pointée par mon acolyte, si on ferme les yeux sur quelques imprécisions de jeu dans les seconds rôles, on se retrouve face à un beau polar sombre, qui cache derrière son intrigue une belle intelligence concernant notre monde contemporain. Car, puisque coupable il n'y aura pas, on se dit que l'intérêt de cette enquête doit être ailleurs ; et petit à petit, Moll nous le confirme : dans cette triste histoire de belle jeune fille immolée, il faut lire l'éternelle et insoluble guerre que se livrent les hommes et les femmes.

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Ce n'est pas un homme qui a tué cette môme, ce sont LES hommes, parce que "il y a quelque chose qui cloche entre les hommes et les femmes", comme le constatent tristement l'inspecteur et sa collègue juge. Et effectivement, quand on voit la somme de perversion, d'indifférence, de violence, de crétinerie des suspects du meurtre, quand on voit la somme de déceptions, frustrations, échecs, trivialités, qui fait la vie quotidienne de ces flics vieillissants et désolés, on se dit que les hommes, face aux femmes, ne peuvent que ressentir une incompréhension totale, que elles face à eux ne peuvent qu'éprouver de la peur ou du dégoût. Moll pointe un fossé qui s'agrandit entre les sexes à l'heure de meetoo, une incompréhension qui date de Mathusalem mais qui se développe encore un peu dans notre monde moderne. Une grande tristesse envahit peu à peu le film, qui devient sombre, tout en clair-obscur, gagné par la lassitude, le décor magnifique de ces grandes montagnes qui enferment les personnages dans une cuvette sans issue augmentant encore l'espèce de fatum qui tombe sur cette histoire. On aime ces scènes nocturnes dans les allées du quartier pavillonnaire, peuplées de créatures étranges, on aime ces ambiances grisâtres de brouillard, on aime ces pauvres décors d'appartement de célibataires ou de commissariat vieillot, on aime enfin cette atmosphère délétère dans laquelle on plonge sans même s'en rendre compte.

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Celle-ci et le fond désabusé du film n'empêchent pas qu'on passe un moment paradoxalement haletant à suivre les méandres de cette enquête à rebondissements. On sait qu'on ne trouvera pas le coupable, mais Moll parvient tout de même à faire monter un suspense, à nous procurer les mêmes émotions que les flics dès qu'un coup de théâtre a lieu, à nous faire espérer les aveux de tel ou tel. Le duo principal (Bouillon / Lanners) est parfait pour donner de la densité à un scénario (signé Gilles Marchand, un bon signe) qui aurait pu devenir inconséquent à force de faux espoirs : la partie "vie privée d'un flic ordinaire de province" est, grâce à eux, aussi intéressante que la partie policière. Excellent polar, donc, qui confirme que ce réalisateur est très convaincant dans le genre, et que le regard social qui habite Moll est plus que pertinent.   (Gols - 03/08/22)

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