Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
7 juillet 2022

High School II de Frederick Wiseman - 1994

High_School_II

25 ans après le premier volet, qui montrait le corsetage de la société ricaine engoncée dans ses valeurs catholiques et conservatrices, Wiseman s'enferme à nouveau entre les quatre murs d'un lycée, mais pour y démontrer des choses radicalement différentes. L'établissement qu'il a choisi (la Central Park East Secondary School à New-York) est une école pilote, destinée à recevoir et à donner leur chance aux minorités de la ville, Noirs, Hispanos, ce qui en soi-même montre un virage franc dans la société : désormais, certes à petite échelle mais de manière prégnante, les "gueux" ont leur chance, le fossé social se fait un petit peu moins profond ; et c'est vrai que voir ces mômes traités d'égal à égal entre eux et avec leurs profs, discutant gravement de leurs problèmes ou de l'état de la société avec des adultes bienveillants, trimant sur de complexes problèmes de maths ou de philo, disséquant Shakespeare ou organisant des débats sociétaux, alors qu'ils étaient jusqu'à maintenant renvoyés dans les limbes, fait chaud au cœur. La vision moderniste du lycée, son statut humaniste, la grande confiance qu'il accorde à ses élèves qu'il regarde horizontalement et non pas de haut, témoigne d'un changement : désormais le monde extérieur pénètre les établissements scolaires, et on prend en compte les inégalités. Wiseman, avec toujours son style dedans/dehors, objectif/subjectif, rend compte avec une parfaite justesse de ce progrès. Les éducateurs sont filmés la plupart du temps à hauteur de jeune, attentifs à sa parole, soucieux de justice et d'équité, que ce soit pour régler un problème de discipline ou pour résoudre une équation. Ce lycée semble exemplaire dans la place accordée à l'élève, traité à égalité avec ses maîtres.

1994_HIGH_SCHOOL_II_1_2160x1038

Et les progrès sont étonnants : on s'étonne par exemple de cette étudiante n'en revenant pas d'avoir été engagée chez Lehman Brothers (bon, elle s'en mordra les doigts quelques années plus tard, mais là n'est pas le problème), elle qui considérait le monde de la Bourse comme inaccessible ; ou de ce débat politique de haute volée pour décider s'il faut utiliser la violence ou non lors d'une manifestation : ou de ce défi lancé à une classe de minots pour défendre une politique migratoire, arguments contradictoires à l'appui ; ou de l'intelligence de ce cours sur Le roi Lear ; ou de la façon de résoudre un conflit entre deux mômes qui se sont battus. Tout est dans la parole et dans la compréhension. La caméra de Wiseman, comme à son habitude, se tient scrupuleusement en-dehors du monde extérieur, enregistrant les progrès à l'intérieur de la cellule du lycée, comme si les remous de l'extérieur ne débordaient pas à l'intérieur. Mais on voit bien, par cette insistance sur le progressisme de l'établissement, que le lycée est à l'image du monde entier : en train de changer. C'est par l'humanisme, et grâce à sa passion pour la démocratie, que Wiseman réussit une nouvelle fois ce pari.

images

Et puis, ici, il y a un élément que Wiseman n'a pas pu prévoir et qui influe encore plus sur le film : l'affaire Rodney King, qui a secoué le pays entier. Dans ce meurtre impuni opéré par des flics blancs sur un suspect noir, tous les atavismes racistes sont à nouveau convoqués. Et le lycée est secoué comme tout le reste du pays par le fait. Au-dehors c'est l'injustice ; au-dedans, on tente de maintenir un semblant de démocratie, de débat, de garder la tête froide, de peser le pour et le contre. La population du lycée étant justement en majorité noire, forcément l'affaire King a des répercussions, et forcément la raison tremble. C'est un élève noir qui avoue carrément son mépris pour ses profs blancs, c'est un débat politique où le nom de King revient au bout de trois secondes, c'est des prises de bec entre communautés. Mais le combat est mené sans relâche : il faut faire de ces jeunes révoltés par l'injustice des sujets pensants et sages. On a beau être enfermé pendant 3h40, l'extérieur ne cesse de venir frapper à la porte. Et la réponse apportée par ces profs et par Wiseman lui-même à cette sourde violence du monde est magnifique de patience, de sagesse, de droiture. Moins spectaculaire que certains de ses autres films, mais pas moins marquant, High School II est une école d'honnêteté et de foi en l'Homme.

tout Wiseman : clique

Commentaires
Derniers commentaires