Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
11 juin 2022

LIVRE : Minuit dans la Ville des songes de René Frégni - 2022

9782072967207,0-8108351Ce brave René Frégni m'a toujours semblé beaucoup plus sympathique que ses livres. Autant le bonhomme est pétri d'humanité, autant ce qu'il écrit m'a toujours paru un peu lisse, un peu consensuel. Et, on ne va pas se le cacher, c'est le cas aussi avec son nouvel opus, Minuit dans la Ville des songes. Dans les premières pages, on le prend même pour un sacré réac, avec ses souvenirs d'enfance insouciante, ses oranges à Noël et sa gentille môman qu'il aime tant. On se dit que, ça y est, le rose de son univers a fini par le bouffer complètement. En rédigeant ses mémoires de jeunesse, en revenant sur ces années d'initiation à la vie, en délaissant le roman, le compère serait-il tombé dans les conventions du roman de terroir pur et dur ? On aurait bien tort, toutefois, de laisser tomber ce livre dès ses premières pages. Parce qu'avec le temps, en affinant de plus en plus son sujet, en changeant clairement de braquet au niveau de l'écriture, en acceptant sa propre sentimentalité tout en développant une thématique beaucoup plus noire, le bougre finit par non seulement vous toucher et renverser la donne, mais par vous laisser même tout pantois à la fin du livre : ce texte simple et magnifique m'a arraché ma petite larme dans ses derniers paragraphes.

La jeunesse de Frégni, donc, d'abord baignée du soleil de Marseille, puis peu à peu teintée du sombre des geôles militaires. Parce qu'il se met à fréquenter les petits voyous de la ville, parce qu'il délaisse les salles de classe et frappe même le directeur de son lycée, parce qu'il cultive une désobéissance rebelle, parce qu'il refusera au bout du compte d'obéir à un ordre absurde dicté par un glandu de supérieur, le brave garçon se verra enfermé de longs mois en prison. Il en tirera pourtant deux profits : une solide amitié avec la pègre corse, en la personne d'un truand enfermé comme lui ; et surtout un amour immodéré, infini, inlassable, total, pour la littérature. Lui qui n'a pas réussi à suivre des études, qui a toujours été considéré comme un incapable, se met à développer une soif inextinguible de mots, de phrases, sur les traces de Giono, de Dostoïevski, de Camus ou de Freud. Évadé de prison, il va entamer une longue cavale de plusieurs années, allant de maquis corse en foule stambouliote, de chambre d'étudiant en mas provençaux, traqué par les gendarmes, toujours précaire dans son existence, mais cette fois armé durablement : il a les livres, qui ne le quittent plus, qui deviennent sa vie même.

Un roman d'initiation par la littérature, c'est ce que nous propose Frégni, qui arrive à plaquer des mots extraordinairement forts sur ce sentiment de découverte du monde, sur ce parallèle entre apprentissage de la vie, de l'amour, de la rébellion et de la littérature. Avec un pouvoir d'évocation extraordinaire, rendu par des mots dépouillés, simples, droits (l'école Giono, effectivement, ou Hemingway, qu'il admire aussi), par une façon de raconter en ligne très claire, presque naïvement, comme un livre d'aventures puis soudain comme un roman picaresque, il parvient à rendre son livre magnifique. Cette histoire de petit gars ballotté par la vie, traqué de toute part, et qui s'en sort parce qu'il n'a besoin que d'un toit, d'un bouquin, parfois d'un amour ou d'un ami, est bouleversante et universelle, respire l'authenticité par tous ses bouts. Frégni traverse son époque (mai 68, le Vietnam, le mouvement hippie) tous les sens en alerte, avec un goût pour l'autre et un humanisme très touchants, et on a aussi un bel aperçu de ce que c'était que refuser l'armée dans les années 60, et on a aussi un manuel de survie en milieu hostile tout à fait crédible. Sans bac, avec sa seule débrouillardise, il parvient à devenir infirmier ou à suivre des cours pointus sur la psychanalyse, tout en se construisant en autodidacte une culture littéraire impressionnante. L'impression qui reste est celle d'un livre baigné de simplicité et de soleil, qui porte une foi en la vie qui réchauffe le cœur, et marqué par une douce nostalgie qui ne l'étouffe jamais. Un des plus beaux livres de ces derniers mois en tout cas. Comme quoi c'est bon d'insister parfois.

Commentaires
Derniers commentaires