9782371001114,0-7491271J'aime bien de temps en temps aller faire un tour du côté de la littérature de nos camarades québecois, histoire de ramener quelques expressions rigolotes et de me dépayser sans le fardeau d'un traducteur. Étant passé à côté de Kevin Lambert à la parution de son premier livre qui avait fait du bruit (Querelle), me voici face à son deuxième, ce Tu aimeras ce que tu as tué au titre joli mais solennel. Et me voici plutôt satisfait : la prose de Lambert a tout pour plaire, un beau dynamisme, un rythme contemporain très bien huilé, un sens de l'humour bien en place, un goût pour le contrepoint et le décalage, bref on est là face à une réelle écriture assez nouvelle, qui aime l'hybridation et les décrochages stylistiques. Le bougre mêle deux ou trois tendances très différentes, la chronique adolescente, la diatribe, le fantastique, et forme avec tout ça un texte étonnamment cohérent malgré son désordre apparent et très homogène malgré les grands écarts. Sujet principal, ce qui rassemble toute sa haine, tout son mépris, celui qui va ouvrir le robinet de ses imprécations apocalyptiques : la ville natale de Chicoutimi, lieu tranquille et conventionnel qui devient la cible de Lambert. Ce lieu honni est le berceau de plusieurs morts violentes dont les victimes sont tous des enfants, comme si une malédiction s'était abattu sur la ville. Qu'ils soient déchiquetés par la déneigeuse ou assassinés par leurs parents, les enfants reviennent sous forme de spectres dans le quartier, s'associant en bandes pour, qui sait, un jour se venger. En parallèle, Lambert raconte son enfance à lui, par la voix d'un narrateur très salingerien, Faldistoire, morne succession de jours marqués par l'ennui et l'humiliation, y mêlant des fantasmes concernant sa famille ou les figues typiques de Chicoutimi (un personnage nommé Kevin Lambert apparaît d'ailleurs dans sa généalogie). Enfin, le tout est rythmé par des scansions toutes de haine et de colère, véritable flot d'insultes et de menaces, d'imprécations et de mots fleuris, adressés à cette ville détestée.

On le voit, il y a à manger dans ce récit qui ne s'encombre pas de vraisemblance ou de construction. On est face au chaos, un joyeux désordre qui peut vous faire passer par la chronique douce-amère, la violence toute crue ou l'étrange sans transition. On est perdus parfois, souvent même, dans cette prose bizarre, qui aime par-dessus tout vous prendre à contrepied et vous amener exactement là où vous ne pensiez pas aller en commençant le chapitre. Faldistoire, en véritable chef de chœur de tous ces petits fantômes tristes qui peuplent la ville, est un personnage éminemment attachant, avec son univers secret et infini dissimulé sous les dehors de l'enfance banale. Il ressort de ce texte un flot d'émotions contraires, ça parle aussi bien de la découverte de l'homosexualité et de la liberté chez un enfant que du confort bourgeois insupportable, ça peut aussi bien avoir un côté polar qu'un aspect quasi-biblique (L'Apocalypse posé en modèle), on peut aussi bien se marrer à la page 182 et pleurer à la 183. Bien sûr, tout ça n'est pas dans la mesure, manquerait plus que ça, et on est parfois enterré sous la masse de ce que Lambert a à proférer ; la fin du roman, notamment, se perd un peu dans la surenchère, et cet aspect tout feu tout flamme nous égare parfois. Mais il s'en dégage un amour de la langue vraiment impressionnant, et une manière de la triturer, de lui faire rendre gorge, qui force le respect. Parfois emballé, parfois perdu, mais toujours happé par le savoir-faire de ce jeune auteur qui semble avoir l'avenir devant lui.