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25 mai 2022

Rois et Reine d'Arnaud Desplechin - 2004

Rois_Reine

Le chef-d’œuvre de Desplechin ? Je dis oui, tant, avec ce film, le garçon a trouvé son acmé, le parfait équilibre entre burlesque et mélodrame, entre psychologie à la française et irréalisme, tant il peut sans limites laisser s'exprimer son goût pour le symbolique et son sens du contrepoint, tant ses acteurs sont au diapason, tant le film vous entraîne dans 3500 émotions diverses et variées. Tout est réussi là-dedans, autant que tout est raté dans Frère et Sœur, pourtant assez proche dans la construction. C'est en tout cas la même construction en miroir de deux personnages foncièrement différents, évoluant dans des univers a priori opposés : Nora (Emmanuelle Devos), qui se retrouve tout à coup face à un drame qui la bouleverse, elle si calme et posée : la mort prochaine de son père atteint d'un cancer (Maurice Garrel, impérial) ; et l'ancien compagnon de celle-ci, Ismaël (Mathieu Amalric), qu'un duo de médecins en blouse vient cueillir un beau matin pour l'enfermer en HP "à la demande d'un tiers". Ces deux personnages vont vivre en parallèle, jusqu'à ce que le film les remette en présence à son exacte moitié, le temps d'une scène, avant de nouveau de les séparer pour qu'ils vivent désormais "dans l'ombre" de l'autre, pour ainsi dire.

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Le plus intéressant, c'est que ces deux destins sont montrés comme évoluant dans deux films différents, alors que le tout forme une cohérence stupéfiante. L'histoire de Nora est grave, cruelle, éprouvante, placée sous le signe du savoir de l'érudition, de la bourgeoisie : on s'offre des gravures, on discute gravement. La bouleversante Devos conduit son personnage avec une maîtrise extraordinaire de la bourgeoise un peu clinquante mais très touchante vers une femme aux zones d'ombre, pas si lisse que ça, ce que viendra couronner une lettre posthume du père qui est sûrement ce que Desplechin a écrit de plus cru, de plus brutal. Ismaël, lui, est traité en personnage clownesque, dans la farce burlesque, et le génial Amalric (c'est le meilleur rôle de sa carrière) s'en donne à cœur joie dans le registre : hilarant, énervé, complètement inattendu et en porte-à-faux avec les situations, il rattache le film à une tradition plus américaine, là où l'histoire de Nora est très française. Les clins d'oeil au cinéma de genre sont d'ailleurs nombreux, avec ce braquage d'épicerie ou ces inspirations de film de remariage entre Ismaël et la jeune suicidaire (Magali Woch, parfaite également). Deux destins donc que tout semble séparer, et qui vont se retrouver autour de l'enfant que la première voudrait que le second adopte.

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A priori c'est donc Ismaël le fou, Nora la sage. Mais les deux mondes sont poreux. En fouillant dans la psychologie des personnages et dans la psychothérapie (deux scènes excellentes, l'une avec Deneuve qui se fait traiter de "petite connasse", l'autre avec une psy imposante qui terrifie Ismaël), Desplechin parvient à en parler de deux points de vue différents : en s'en moquant, ou en montrant comment elle s'inclut dans la vie d'une femme jusqu'à la faire vriller. Tout ça pourrait être bien pesant, mais la grâce de l'écriture, proprement en apesanteur tant elle pétille, et celle de la mise en scène, associées au talent des acteurs, tous géniaux, et au goût de Desplechin pour la surprise, font qu'on passe ce long film bouche bée : parfois rigolard, parfois ému (la longue promenade d'Ismaël avec le gamin à la fin, sublime), parfois bien titillé intellectuellement, en tout cas toujours passionné. Et tant pis si ça et là il y a quelques répétitions, quelques scènes inutiles, quelques coquetteries, on reste bluffé par l'émotion que véhicule Rois et Reine.

été3

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