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19 mai 2022

Break-up, Erotisme et ballons rouges (L'uomo dei cinque palloni) de Marco Ferreri - 1968

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Je ne suis pas le premier à le dire, mais Marco Ferreri est un vrai génie, au-delà de ses outrances et provocations diverses. Si vous voulez vous en assurer, voyez donc le grandiose Dilinger est mort, ou ce Break-up, érotisme et ballons rouges, qui en constitue presque une introduction, une préface. C'est la même histoire d'une aliénation moderne, et la même façon d'en passer par la farce caustique pour démonter les rouages d'une société vouée à la folie, où le fait qu'on ait oublié qu'on est mortel vient se rappeler à nous de la plus dérisoire des façons. En l’occurrence, par un ballon : Mario, un riche industriel à qui la vie sourit, se voit un jour offrir des ballons par un publicitaire désireux d'obtenir un contrat avec lui. Ce petit événement va faire basculer sa vie, et il va devenir proprement obsédé par la recherche absurde du point de rupture de ces ballons : à quel moment exact vont-ils exploser ? Quelle quantité maximum d'air peut-on mettre dedans ? D'abord prise comme un jeu, cette question va l'emmener jusqu'à la folie, après en être passé par la désertion du foyer conjugal. Et Ferreri de scruter avec une acuité et une causticité constantes l'effondrement mental de cet homme moderne italien en proie à la plus fondamentale des questions : puis-je en mettre encore ou va-ce craquer ?

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Toujours la même thématique donc, chez le bon maître : la vie qui vrille, le déroulé tranquille d'une existence moderne qui part en couille sur un minuscule détail. Qui de mieux pour interpréter à la fois la démence et la bourgeoisie satisfaite que Marcello Mastroianni, qui trouve une fois de plus ici un rôle parfait dans lequel il se coule comme un poisson dans l'eau ? Son regard qui se fait de plus en plus hébété, son aisance qui se fissure au fur et à mesure que l'angoisse l'étreint accompagnent parfaitement la construction du film, qui plonge peu à peu dans une ambiance de folie pas si éloignée des délires d'un Fellini. D'abord dans un noir et blanc plutôt discret, le film passe brutalement en couleurs lors d'une longue séquence presque onirique, où notre héros se retrouve dans une soirée pop et disco, où les ballons envahissent littéralement l'écran : les fantasmes érotiques peuvent alors se laisser aller librement, et cette partie est aussi énergique et enlevée qu'angoissante : on reconnaît parfaitement Ferreri dans ces audaces qui font le parallèle entre folie et sexe, entre mort et fête dégénérée. Il avait déjà tenté des ponts auparavant, en montrant Mastroianni comparer son ballon aux seins de Catherine Spaak (excellente, elle aussi), ou au gonflement de son ventre, mais cette fois il laisse libre cours à sa paillardise colorée, et la séquence est magnifique.

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En règle générale, de toute façon, le brave Marco n'est pas tendre avec ses contemporains et la société de consommation dans laquelle ils doivent vivre : on a un aperçu de la vie quotidienne italienne lors d'une scène dérangeante où les masses de gens se pressent en bouffant comme des porcs autour d'un Mastroianni encore sous le choc de la soirée qu'il vient de passer ; point final de sa folie, qui ira jusqu'au bout avant de laisser la place à un gros chien qui bâfre le repas dominical. On est constamment entre la grosse farce rigolarde et la cruauté, entre le cynisme grinçant et la gauloiserie. Ferreri, en infléchissant subtilement sa mise en scène du confort joyeux et bourgeois à l'enfer pur, nous donne un film magnifique, aux symboles forts, aux lectures multiples, le tout en nous divertissant plus qu'il ne faut. Un film oublié, et c'est un scandale.

Commentaires
M
Film qui sera tourné sur 4 ans car son tournage démarre en 1965 pour une version courte en noir et blanc (L'uomo dei cinque palloni) faisant partie d'un film collectif (Aujourd'hui, demain et après demain). Ferreri le termine en 1968 en tournant la séquence couleur de la boite de nuit qu'il intègre dans le court-métrage.
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