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4 mai 2022

Le Manuscrit trouvé à Saragosse (Rękopis znaleziony w Saragossie) de Wojciech Has - 1965

rekopis-znaleziony-w-saragossie1

Après avoir vu pratiquement tous les films de Wojciech Has, nous voici pour finir face à son chef-d’œuvre, tout vient à point à celui qui regarde des vieux films de manière compulsive. Pour qui connaît le goût du maître polonais pour le conte, l'imaginaire, la narration, c'est un vrai plaisir de le retrouver là, dans cette adaptation d'un roman picaresque (de Jan Potocki) qui multiplie à l'envi les trames, les fictions, les contes, entremêlant dans un savant désordre le fantastique, l'érotique, le burlesque, le merveilleux, le récit d'aventures ou le conte initiatique. Autant dire que notre gars Has se sert avec gourmandise dans tout ce terreau, et qu'il en tire une merveille de cinéma, libre et direct, qu'on regarde avec un plaisir total.

Le_Manuscrit_trouve_a_Saragosse

La grande qualité du bazar, c'est sa façon incroyable d'enchâsser les récits dans les récits. Façon poupée gigogne, le scénario très complexe, mais finalement très lisible, accumule les strates de fiction : un récit commence, dans lequel un personnage apparaît qui se met à raconter son histoire, dans lequel un personnage apparaît, qui... et comme ça jusqu'au vertige. Ça permet de passer très habilement et en un tour de main d'un registre à l'autre, et surtout ça permet de mêler en un seul bloc le rêve et la réalité, laissant ainsi l'impression d'un long (3 heures de temps) moment d'hallucination. Miraculeusement, on n'est jamais perdus dans cet écheveau d'histoires, Has mettant toujours son point d'honneur à nous faire sentir, en fond, la présence du récit "au présent", en train de se faire. Challenge d'autant plus bluffant qu'à l'intérieur de chaque couche de récits surgissent des détails, des personnages, issus d'autres strates de temps, se répondant l'un à l'autre d'histoire à histoire. Je ne sais pas si je suis clair, mais disons pour être bref que Has mélange tout, et parvient pourtant à être d'une fluidité constante, à ne jamais nous ennuyer. Bien au contraire ; on se passionne tour à tour pour toutes ces histoires, qu'elles traitent d'auberge enchantée à la Cocteau où vivent deux sœurs peu farouches et adeptes du triolisme ou de démons grimaçants, d'amants escaladant des échelles pour rejoindre leur aimée ou de déments borgnes. A chaque fois, c'est le même sens de la féérie, de l'étrange, du morbide, de la grosse farce qui guide Has, et son amour immodéré pour la narration. Le compère aime nous raconter ces vieilles histoires, c'est évident, et aime plus que tout jouer avec les limites de notre imaginaire. Le sien semble illimité, tant il met de soin dans tous les détails de ces petits récits pour les rendre les plus spectaculaires possible. Le credo du cinéaste semble être que nos vies sont tissées de la matière des rêves comme disait je ne sais qui (Calderon ?), que la peur, le rêve, le fantasme sont aussi importants que les faits eux-mêmes.

entete

Du coup, son film peut se rapprocher de ceux surréalistes de Cocteau ou de Buñuel, ou de ceux épiques de Kurosawa, ou de ceux troublants et baroques du Pasolini période "Trilogie de la vie". Il y a tout ça dans Le Manuscrit trouvé à Saragosse, qui est ce qu'on peut appeler un film-monde. Mais il est surtout hyper-personnel, montrant un cinéaste d'une fantaisie illimitée, cherchant toujours à nous divertir et nous amuser mais d'une façon sophistiquée, savante, le tout dans une mise en scène somptueuse. Has fait le pont entre un cinéma expérimental, intellectuel, complexe et le cinéma populaire du samedi soir : la perfection.

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