LIVRE : La Fille Parfaite de Nathalie Azoulai - 2022

Rhaaaa bouleversé je suis par cette lecture fondamentale qui m'a fait bouger sur mes bases comme peu de textes depuis ma lecture de Kafka. Jugez plutôt : deux amies s'aiment, mais l'une est passionnée par les sciences et l'autre par les lettres. Ah vous aussi, hein, vous sentez l'intérêt vous picoter l'échine, l'angoisse de savoir vous triturer les méninges ? Ah j'avoue que je me suis maintes fois relevé la nuit pour connaître la suite des tribulations de Rachel, issue donc d'une famille d'intellos branchés littérature qui ne s'amusent jamais autant que quand ils discutent un point de grammaire ou une question d'esthétique dans l’œuvre de Proust, et d'Adèle, rejeton d'un père qui ne jure que par la vérité objective des nombres, partisan de l'excellence et de l'abstraction mathématique : que va-t'il bien pouvoir se passer entre ces deux amies à la vie à la mort, que tout pourtant sépare ? D'un côté Rachel fréquente des étudiants en lettres à l'intelligence limitée et s'intéresse à des choses qui n'ont pas d'importance cruciale ; de l'autre Adèle gagne des prix de science de plus en plus prestigieux et se trouve elle, du bon côté de la vie, avec son mariage, son enfant, son intelligence hors norme et son regard acéré sur le monde. Quel suspense, mazette ! On est accroché de la première à la dernière phrase à cette relation incroyablement spectaculaire qui peut évoquer la tragédie grecque ou les grandes heures d'un Alexandre Dumas : l'amitié entre les deux héroïnes résistera-t'elle à travers le temps à leurs dissensions ? La narratrice arrivera-t'elle à lutter contre ses petites jalousies à l'égard de sa copine parfaite ? Le parfum framboise est-il préférable au parfum vanille chez le glacier ?  Si les auteurs n'ont que ça à raconter aujourd'hui, c'est que le monde va plutôt bien, après tout, et ça ça rassure. Et si les éditeurs décident de faire paraître un livre tellement primordial, c'est qu'ils estiment que ça va intéresser les gens, ce qui dénote une fine analyse sociologique. Dans un style que d'aucuns qualifieront d'inexistant, d'autres de médiocre, d'autres encore de tout pourri, ce qui prouve sa richesse, Nathalie Azoulay déploie sa trame quotidienne et banale comme si elle racontait du Shakespeare, tout reposant d’ailleurs sur un événement traumatique tout comme chez le dramaturge anglais : le suicide, au début du livre, d'Adèle. Comment une femme si brillante, à qui la vie sourit,  en est arrivée à se pendre ? On s'en fout, oui, certes, je vous vois venir ; mais Azoulay, elle, est loin de s'en foutre, et prend ses 300 pages pour tenter de résoudre cette énigme, remplaçant ainsi avantageusement sa séance de psy hors de prix par des invitations chez Busnel et un objet classieux chez POL. On est bien content pour elle.