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23 avril 2022

Benny's Video de Michael Haneke - 1993

Sans titrec

Il nous manque, le Haneke, non ? Pour pallier une absence qui commence à être pesante, quoi de mieux que de revoir un des fleurons de son cinéma première période, un de ces machins cauchemardesques qui vous restent en tête, même après plusieurs visions ? A cette époque, le bon maître autrichien était critiqué pour son moralisme et pour sa froideur. Et, oui, il y a dans Benny's Video du moralisme et de la froideur. Et il se servait des codes du film d'horreur pour parvenir à ses fins, ce qui a rajouté une couche de plus dans la méfiance des critiques à son égard. Aujourd'hui, avec le recul, on se rend compte qu'il a carrément inventé un genre, disons "le film d'horreur social", et qu'il y a imprimé une marque immédiatement reconnaissable avec son ton distancé, sa photo spectrale, son jeu d'acteurs atone et son ton professoral à blouse grise. Son ennemi d'alors, dans toute sa fameuse trilogie des débuts, c'est l'image, ou plutôt les médias. Benny est un adolescent fan de vidéo, à tel point qu'il a complètement occulté la réalité de son système. Pour lui, tout est image, représentation, il va même jusqu'à diffuser sur un écran l'image de la rue qu'il a depuis sa fenêtre un mètre plus loin. A la faveur de la rencontre avec une jeune fille, il va enfin expérimenter la vraie vie  : qu'est-ce que ça fait de tuer en réalité ? de voir la mort ? de souffrir ? Plus seulement de regarder tout ça à travers le regard "objectif" d'une caméra, mais de l'éprouver concrètement ?

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20 ans avant l'explosion de notre société "tout écran", Haneke avait déjà senti le danger. Benny s'est construit un monde qui n'est qu’interprétation, où il n'est plus du tout question de ressentir les choses en tant qu'individu pensant, où le monde est devenu l'image du monde, distancée, privée d'affect. Nulle surprise alors, même après son meurtre, de le voir à nouveau plonger dans ce piège, regardant l'Egypte (vers laquelle sa mère l'a emmené pour l'éloigner de son acte) à nouveau à travers l’œil de la caméra, tandis que son père se coltine avec la dure réalité (découper un cadavre et s'en débarrasser). Complètement démuni face à ce qu'il ressent ("Je voulais voir comment c'était" est la seule réponse qu'il apporte à son acte), c'est un môme d'aujourd'hui : la somme des horreurs qu'il a vues a fini par annuler son système moral, et il ira jusqu'au bout du bout de ce qu'il peut faire pour éprouver un tant soit peu d'émotion (qui ne viendra pas).

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Haneke agit en véritable père Fouettard, ne se cachant pas de nous donner une leçon morale, en nous fabriquant un film très éprouvant, raide comme un cadavre. En multipliant les écrans dans les écrans, en filmant souvent la représentation d'une image plus que l'image elle-même, en jouant très habilement sur le hors-champ, et en pratiquant une mise en abîme assez vertigineuse, puisqu'on regarde nous-même une image en regardant son film, il jongle avec la notion d'image, d'objectivité, de froideur, à la manière d'un Schopenhauer moderne (Le Monde comme volonté et représentation toujours à portée de main). Il a le même pessimisme, la même froideur, le même ton ricanant que le philosophe ; mais il réalise aussi un film assez spectaculaire malgré son ascèse, impressionnant malgré son austérité. La mise en scène est toujours géniale, la simplicité de son scénario est au service de la rigueur de son message (mot qui convient mal au cinéma, mais qui ici a vraiment du sens) ; et on suit les agissements du petit Benny terrifié par cette nouvelle génération opaque, incompréhensible, que Haneke annonce sans ambage : une génération de l'image, privée d'émotions, regardant tout avec distance et froideur. Que le film soit lui-même distant et froid lui ajoute du génie, comme si Haneke inscrivait le cinéma lui-même dans la liste des responsables, et lui aussi par la même occasion. Une manière de nous fasciner avec ce qu'on devrait fuir. La métaphore sera filée dans le sublime Funny Games ; elle est déjà brillante ici.

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