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Shangols
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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
20 avril 2022

Lost Highway de David Lynch - 1997

Sans titre

Franchement, là, on est dans le génial, indéniablement. Lost Highway est mon film de Lynch préféré, et cette revoyure ne changera pas la donne : je trouve ce film révolutionnaire, étrange, captivant, fascinant, et il contient pour moi tout ce qu'on est en droit d'attendre du cinéma en terme de fantasmes, d'émotions, de fétiches, de fantômes,... Bref, c'est du cinéma pur, un de ces trucs dont on ne se remet pas, dont on sent bien qu'il y a un avant et un après. Même si on peut trouver que Lynch a affiné encore cette direction avec Mulholland Drive, moi je préfère celui-là, plus brut, plus punk, plus inquiétant. Qui avant Lynch avait essayé une telle radicalité, avait tenté de renouveler complètement les règles du jeu ? Qui avait tenté ainsi l'abstraction, réfléchi aussi profondément au sens même du cinéma, à ce qu'il peut produire de sensations, de traumas, d'émotions directes ? Le tout emballé dans un écrin d'une supérieure élégance, et prenant des airs de polar, de thriller, de film érotique, de film d'horreur, de réflexion sur la folie, et d'une belle symbolique sur l'espace privé et l'espace public, moi je dis : respect.

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On le sait : le film est littéralement scindé en deux, pour la première fois chez lui (il reprendra cette dualité dans Inland Empire ou Twin Peaks) : dans la première partie, on suit les angoisses de l'inquiétant Fred Madison (Bill Pullman), saxophoniste trouble marié à la pulpeuse et brune Renée (Patricia Arquette). On ne sait quelle violence sous-tend leurs rapports étant donné qu'ils n'éclatent jamais, mais on sent une peur de la part de la femme, un aspect borderline chez l'homme. Leur quotidien est bousculé par l'arrivée d'une série de cassettes vidéo les montrant de plus en plus précisément dans leur maison. Qui s'est introduit chez eux ? Dans quel but ? Serait-ce ce personnage terrorisant que Fred rencontre dans une soirée, qui lui affirme qu'il est déjà chez lui (coup de téléphone à l'appui) ? Ou Fred devient-il tout simplement fou, l'espace rempli de coins obscurs de sa maison représentant finalement son cerveau à lui, au sein duquel de torves pulsions se dissimulent ? Toujours est-il que le film se déchire en deux au bout de 50 minutes, un nouveau personnage masculin remplaçant le principal, et l'action redémarrant ailleurs : voici Pete (Balthazar Getty), petit mec engagé dans un garage, fricotant plus ou moins avec la pègre locale représentée par un vieux mafieux flippant (Robert Loggia). Notre gars tombe sous le charme de la protégée de celui-ci, la blonde Alice (...Patricia Arquette), liaison qui risque de lui être fatale, puisque, on le sait, les blondes sont toujours vénéneuses dans le cinéma hollywoodien polardeux. Mais plusieurs éléments relient ces histoires entre elles : ce "Dick Laurent" dont on apprend la mort dès le départ, la fille interprétée par la même comédienne, des réminiscences de chaque côté du miroir, cette cabane qui explose à l'envers, ce coin envahi par l'ombre, cette fumée...

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Autant d'éléments que Lynch adore semer dans ses films pour en brouiller les pistes, pour avancer masqué dans un jeu de pistes jouissif, pour nous montrer que le monde est un univers codé, cryptique, où la logique n'a pas sa place. Avec quelques motifs, le gars arrive à nous balancer une métaphysique ravageuse dans la tête, et on suit bouche bée ce puzzle hyper-sophistiqué, perdu dans la trame, se raccrochant à un détail pour mieux l'abandonner ensuite. Ça n'a l'air de rien, mais en ces années 90, la frontière était bien fermée entre le cinéma expérimental et le cinéma commercial. Lynch arrive et redistribue les cartes. On ne comprend très vite plus grand chose à la trame, mais la cohérence de ce qui nous est montré est telle qu'on s'en moque totalement : l'expérimental nimbe le film, qui a pourtant tout d'un film de divertissement hollywoodien classique, avec ses mafieux, sa blonde fatale et ses flics dépassés. En fait, Lost Highway, c'est une succession de motifs fantasmatiques, c'est du fétichisme à l'état pur, c'est du cinéma réduit à sa plus simple expression sensorielle : tout y est de ce qui fait l'émotion au cinéma, le sexe, la violence, l'inquiétude, l'attirance, la répulsion, la mort ; et tout y apparaît dans un semblant d'ordre hyper classe, mais en fait dans un chaos complet. La musique choisie par Lynch représente bien ce chaos : Rammstein,  Bowie, Lou Reed, Marilyn Manson, Nine Inch Nails, du rock pur et dur, brutal, posé sur des images vénéneuses et troubles, sexuelles, suaves... on flippe à mort ! Certains plans sont désormais rentrés dans l'imaginaire collectif, comme cette route nocturne éclairée par des phares, comme cette image vidéo granuleuse à mort. C'est comme si Lynch avait ramassé tous ses films précédents en un seul, mettant ainsi la pierre de touche à son projet. Le résultat est un chef-d'oeuvre d'une élégance totale, grâce à la mise en scène hyper travaillée, à la photo magnifique, au jeu d'acteurs dirigés vers l'hébétude, loin du réalisme, à une musique qui reste immédiatement en tête, et surtout à une succession d'images traumatiques et éternelles dont on sent bien qu'elles vont rester durablement sur notre rétine. De la sensation directe, qui s'en prend à vos viscères sans passer par votre cerveau : une merveille intersidérale.

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Commentaires
P
Oh super! Ça donne envie! J'ai régulièrement des réminiscence de Twin Peaks, The Return qui était une des choses de cinéma/télé les plus fortes que j'ai jamais vu. Pourtant je n'ai vu et aimé que peu de films de Lynch que j'ai longtemps catalogué, à tort, comme un réalisateur trop maniériste. Voilà une bonne excuse pour s'y remettre, merci! (et vive Shangols, en passant)
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