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18 mars 2022

Freedom de Šarūnas Bartas - 2000

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On peut toujours compter sur Šarūnas Bartas pour s'éclater entre deux films de Michael Bay. Bon, sans rire, on peut aussi compter sur lui à chaque fois que le manque de cinéma pur se fait sentir : on trouvera dans ses films toute occasion de revérifier que filmer est un art exigent, et que, pour peu qu'on le prenne au sérieux, il peut donner des choses merveilleuses. Je ne dis pas que vous allez passer un moment merveilleux avec Freedom, vous vous doutez bien. Mais je peux vous assurer que vous allez vous y frotter à un cinéma nouveau, original, pareil à nul autre, d'une radicalité totale, d'une absence de concession qui fait plaisir aux temps où les gens sont fans des Tuche. Le résumé de la trame tient dans ses trois premières minutes : un petit groupe d'hommes, probablement trafiquants, embarquent sur un bateau, et sont très vite poursuivis par une patrouille de flics. Ils se retrouvent sur un bout d'île, et vont consacrer le reste du métrage à rester là, à attendre on ne sait quoi (la mort, sûrement), à contempler la mer et le sable, et à mettre leur point d'honneur à ne pas communiquer avec les autres. Deux hommes, une femme, perdus dans l'immensité du vide, c'est parti pour une expérience sensorielle, temporelle et cinématographique austérissime.

Freedom+1

Sans titre

Bartas fait partie de ces très rares cinéastes à avoir compris que l'ennui peut faire partie du plaisir éprouvé à suivre un film. Il étire ainsi jusqu'au maximum ses plans, tous fixes, nous laissant tout loisir de : 1/ s'extasier sur leur beauté, puis 2/ remarquer la lenteur du plan, puis 3/ s'ennuyer, puis 4/ rentrer dans le tempo du film, accepter la contemplation pure. Un effet zen indéniable, si bien qu'à force on se laisse aller à l'hébétude complète dans ce film où aucun plan ne doit faire moins de 20 secondes. Comme il ne se passe rien (ou presque : de temps en temps un coup, une fuite en avant, une rencontre muette, un corps qui tombe), on a tout loisir d'attaquer le film par le biais de son aspect pictural et musical. Du côté du premier, il faut reconnaître que Bartas réalise quelques cadres splendides sur la nature, que ses plans larges quasi-abstraits sur ces grands espaces vides sont impressionnants de majesté, que son sens de la composition trouve toute sa place dans l'austérité de son décor. Il y a là quelques scènes sublimes sur des crabes s'échappant d'un sac, sur l'océan, sur des petites silhouettes humaines face à l'immensité des ciels, sur le désert, sur la faune (le film est devenu le préféré de mon chat, qui s'est mis à attaquer frénétiquement un lézard qui traversait l'écran). Dans l'aspect musical, outre la bande-son impressionnante faite de vagues bruits de vent, de musique rare mais hantée, de minces lignes de dialogues murmurés, on apprécie le côté là aussi "contemplatif" du tempo du film, un peu comme quand on écoute une disque de musique répétitive à la Steve Reich, à la Philip Glass ou à la Arvo Pärt : on s'ennuie, mais notre esprit s'ouvre peu à peu, divague, et se laisse aller. Bref, on vit avec ce film une expérience qui titille tous les sens, et pour peu qu'on accepte la radicalité et l'abstraction de la chose, on passe un moment hors de tout à regarder Freedom. Fascinant, chiant et assez génial.

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