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31 mars 2022

LIVRE : Connemara de Nicolas Mathieu - 2022

9782330159702,0-8065566Mathieu creuse un peu plus loin son sillon sociologique et doux-amer, et nous offre un roman assez bouleversant, juste et intelligent sur le monde tel qu'il est. Et tel qu'il fut, puisque sa trame le fait retourner à plusieurs reprises en arrière, dans ces années 80-90 où le destin de ses deux héros a basculé, ou en tout cas s'est défini. A ma gauche, Christophe, enfant d'Epinal, champion de hockey sur glace, piège à filles et star locale ; aujourd'hui piètre vendeur de croquettes pour chiens, qui n'a jamais su quitter sa petite région, et rêvant de reprendre à près de 40 ans la compétition pour retrouver un peu de fierté, de mouvement dans sa vie. A ma droite, Hélène, jeune fille un peu coincée mais rêveuse, excellente élève qui a décroché le job de rêve : un poste d'un de ces noms en anglais qui ne veulent rien dire (consulting manager, ou genre) ; aujourd'hui aigrie et insatisfaite, elle rêve d'un nouvel amour, et pourquoi pas avec ce jeune champion de hockey dont elle était folle du temps de sa jeunesse ? Ces deux-là se (re)rencontrent par hasard, et vont tenter de remonter le temps en vivant un amour erratique, sur fond de modernisation galopante, d'élections présidentielles et de vie qui s'écroule façon soufflé. Le livre, alternant le récit de cette jeunesse moins décomplexée qu'elle en a l'air dans cette province un peu terne, et le récit du présent, où nous deux amis regardent tranquillement leurs espoirs et leurs envies disparaître, est d'une construction diabolique : non seulement il converge vers une sorte de point central, à la jonction des deux temps, mais en plus il permet, grâce à cette alternance, de densifier les personnages, de les voir en regard avec leur passé, et de constater avec eux le gâchis du temps qui passe.

Mathieu fait ce que Houellebecq ne sait plus faire : il nous brode un beau roman mélancolique et cruel, et en même temps nous fabrique une trame qui s'apparente à un essai sociologique très pertinent. Le gars comprend l'époque, comprend son contexte, comprend ces petites villes de province, mieux que personne. On est bluffé par la pertinence de sa vision et la justesse des mots qu'il trouve pour parler de ces existences pathétiques. On le savait déjà : il sait ce qu'est un jeune, et écrit merveilleusement dès qu'il s'agit d'en décrire les contradictions, les joies totales, les vanités. On le découvre ici tout aussi fin pour décrire l'âge adulte. Mais ce qui frappe le plus, c'est son talent à ressusciter une époque, ici les années 90. Un objet, une expression, un vêtement, une chanson ("Les Lacs du Connemara" de Sardou en symbole de cette époque, objet de quelques paragraphes bluffant de vérité), et c'est tout un passé qu'il invoque, c'est presque de la magie. Il reste toujours dans le concret, dans le fait, mais son roman n'est pourtant jamais froid ou cynique : grâce à la profonde empathie qu'il a  pour ses personnages, et qui n'exclut pas une grande cruauté, il nous fait exister ces deux bougres avec netteté et intelligence. Son écriture est chargée en formules choc, ses paragraphes sont construits pour arriver toujours au point culminant de leurs dernières phrases, souvent sidérantes. Mais là aussi, ce n'est jamais de l'acrobatie pour l'acrobatie, aucune crânerie là-dedans ; juste la nécessité de mettre le bon mot sur la bonne chose, et de ménager une progression de la trame tout en vous trouant le cœur. On reste ébahi de page en page de ce gros roman, devant la discrète virtuosité de Mathieu, devant la justesse de ses mots, devant la tendresse sévère envers les personnages, et on referme Connemara tout chamboulé. Grand livre. (Gols 11/02/22)


nicolas-mathieu-l-un-des-auteurs-phares-de-la-rentree-litteraire-de-janvier-photo-er-alexandre-marchi-1642701991Oui, on sent chez Mathieu une vraie capacité à capter une époque, à nous faire croire à ces personnages : comme un Florent Marchet de la grande époque, il sait en deux traits donner du relief à ces petites gens de province (et de Parrrris), à ces parents, à ces petits pontes des boites de consulting. Qu'il s'agisse de bons vieux beaufs attachants ou de personnages brillants, clinquants détestables, on reconnaît forcément quelqu'un de son entourage... et on se reconnaît aussi dans ces petites ambitions, dans ces tentatives d'y croire, dans ces désillusions... Mathieu ne prend jamais ses personnages de haut, tente toujours de nous les montrer sous leurs meilleurs jours (leurs aspirations, leur optimisme, leur considération envers leurs enfants...) mais n'est jamais le dernier pour nous montrer aussi comment cette bulle a inexorablement tendance à se dégonfler. Il y a du divorce qui laisse des traces, il y a des adultères qui viennent sanctionner des relations mortes, merdiques, usées, il y a des naissances, difficiles, il y a du vieux, en perdition, il y a des histoires de cul pétillantes, ou tristement banales, il y a des gens qui sombrent et des gens qui croient trouver une renaissance dans le mariage (et qui sombre donc aussi, ajouterait d'une voix grave l'ami Gols - mais je parle à sa place). C'est vrai que cette construction narrative, ces allers-retours finalement assez classiques, donnent un petit côté palpitant à ce roman : on se reconnaît autant dans ces maladresses d'adolescents mal dégrossis, dans ces envies brouillonnes, que dans ces récits de quarantenaires qui n'ont pas vu le temps passer, qui tentent encore d'y croire, qui sont juste surpris de voir des gosses grandir alors qu'eux mêmes pensaient être restés les mêmes. Un sportif dont la gloire est restée éternellement bloquée dans le passé et qui tente un come-back comme un dernier baroud d'honneur, une jeune femme prête à toute donner dans son taff qui se rend compte malgré les évolutions constantes de la société qu'une femme est restée une femme - un cul, un joli minois, un cerveau bienvenu mais qui ne permet pas pour autant de grimper les derniers échelons... Cette France, de notre enfance, celle d'un Sardou encore est toujours fer de lance de ces soirées arrosées, de ces gens de droite qui aiment entendre résonner dans leur coeur cette petite musique militaire synonyme d'ordre perdu, des ces gens de gauche qui connaissent malgré eux (?) les paroles par cœur, sûrement à force de refaire le monde totalement enivrés sur fond musical populaire... On pourrait trouver le portrait de cette société un peu cynique, elle ne l'est pas tant Mathieu ne juge point ses créatures, se contentant de les animer avec nuances et profondeur. On n'est sans doute pas au niveau d'un Houellebecq dans le petit côté sociologique de la chose, mais reconnaissons tout de même chez Mathieu un vision pour le moins saignante de ces cabinets de conseil de ces cabinets du vide qui polluent actuellement, justement, l'actualité de la Macronie. Finesse des traits, fluidité d'écriture, Mathieu donne là véritablement pleine satisfaction. ♪ Terre brulée, au vent... ♪ oh putain, arrière Satan. (Shang 31/03/22)

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