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10 février 2022

Ouistreham d'Emmanuel Carrère - 2022

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Oh ben alors qu'est-ce qu'il lui arrive, à Emmanuel Carrère, lui qui nous a franchement bouleversé il y a quelques années ? Après un roman un peu fade (Yoga), il renchérit avec ce film un peu ringard, un peu transparent, qui lui va comme une paire de bottes va à une truite saumonée. Pour cette fois, il adapte un récit de Florence Aubenas, très social, très journalistique, très engagé, et le voilà qui affute ses armes les plus indignées pour nous parler d'un sujet qui semble assez éloigné de lui : le sort des femmes de ménage engagées sur les ferries de Ouistreham, leurs cadences de travail infernales, leurs payes d'esclaves, leurs tristes existences d'invisibles. Le prétexte, c'est Juliette Binoche, qui interprète une journaliste désireuse d'écrire une enquête sur ces femmes, et qui s'infiltre façon espion dans leur univers en se faisant passer pour une prolo de base. Sorte de prolongement de la position de Carrère lui-même par rapport à ce qu'il filme, Marianne représente donc à la fois la complice, celle qui veut écrire pour donner enfin la parole à ces femmes, et la traîtresse, celle qui usurpe leur statut pour se faire du fric. C'est justement un peu là qu'on tique : malgré tous ses efforts, malgré l'honnêteté avec laquelle il filme tout ça, on ne peut s'empêcher de voir là-dedans un côté "Binoche chez les ploucs", impression augmentée encore par le fait qu'elle est la seule comédienne professionnelle au milieu des amatrices qui jouent leur propre rôle. Et par la bande, on soupçonne un brin d'imposture de la part de Carrère, qui vient ici nous parler d'un monde qui lui est étranger avant de s'en retourner à sa vie d'écrivain et de cinéaste confortable. Pendant tout le film, je n'ai pas pu m'empêcher d'y voir cette posture, et d'être un peu gêné de voir ces femmes se prêter à ce jeu avec conviction. Avant, dans les AG de la fac, il y avait toujours un gars qui lançait la question : "Oui, mais toi, d'où tu parles ?". C'est le cas ici : Carrère et Binoche parlent depuis un monde très éloigné de celui qui les préoccupe dans Ouistreham, et c'est dommage, voire douteux.

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Mise à part cette remarque morale, notons que le truc est assez fade dans son exécution, loin des expérimentations passionnantes du cinéaste qu'on connaît. Quasi-documentaire (même Binoche a rangé sa trousse de maquillage), très plan-plan dans son déroulement, le film accumule les scènes très attendues dans ce type de sujet, toutes symptomatiques d'un certain état des lieux alarmant du statut de femme de ménage. Il y a les galères familiales, les horaires pas possible, les humiliations, les petits chefs, les difficultés financières et organisationnels, les corps épuisés, et il y a la solidarité, les fêtes, les fou-rires, les mille petites anecdotes rigolotes. Bref, on sort de la salle strictement dans le même état que quand on y est rentré, avec les mêmes convictions et la même idée sur ce pénible métier. Les actrices, très inégales, ont pour consigne de faire passer leurs dialogues de la façon la plus naturelle possible, les dialogues sont hachés, on peut se couper la parole, etc. A ce petit jeu, elles rament assez souvent, et tout ça paraît un peu artificiel. Curieusement, même Juliette Binoche a l'air mal à l'aise avec ça (regardez-la bien : quand elle sourit un peu trop dans un film, c'est qu'elle est mal dirigée). Il est vrai que, ça et là, quelques jolis détails touchent : une femme qui danse sur un parking, une petite réplique rigolote, un personnage plus attachant (j'ai bien aimé Cédric, petit mec légèrement dragueur, très tendre et crédible). Mais l'ensemble ennuie la plupart du temps, et on cherche désespérément à retrouver le cinéaste audacieux, au style affûté, dans cette chronique sociale un peu surfaite. Un film pour rien.

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