Les jeunes Amants de Carine Tardieu - 2022
Je viens ruiner 16 ans de dur labeur shangolien pour éviter de faire entrer la funeste Carine Tardieu dans la liste des réalisateurs commentés (entre Tarantino et Tarkovski...). Désolé. J'avais l'excuse ici d'un scénario que l'intéressante Solveig Anspach n'a pas eu le temps de filmer. C'est donc Tardieu qui prend le relais, et qui saccage bien entendu tout le travail d'origine, qu'on imagine délicat pour le moins. Voici donc l'amourette d'un "jeune" cinquantenaire marié (Melvil Poupaud, dont il faudra bien un jour reconnaître qu'il n'est pas l'acteur du siècle non plus) pour une petite vieille (Fanny Ardant, volontaire). Z'imaginez le questionnement que ça pose, en terme de regards des autres et d'acceptation de soi-même ? On va avoir droit à tout le catalogue psychologique prévu, depuis la femme trahie qui ne comprend pas comment on peut lui préférer une septuagénaire (c'est Cécile de France, et moi je comprends très bien, du coup, d'autant plus que le maquilleur a forcé sur le fond de teint : c'est Céclle de France orange) jusqu'à l'intéressée elle-même qui se demande si elle a encore droit à l'amour, si elle est encore désirable, et si le caméraman capte son bon profil. Le seul à ne pas douter, c'est notre bon Pierre, qui croit en la "forceu de l'Amur" et ira jusqu'au bout de ses efforts (et jusqu'à pénurie de larmes) pour prouver que, oui, la passion est possible entre une grand-mère et un sosie de Shang. C'est beau, ça rassure, la vie est belle comme une mélodie de Bach (qu'on entend plus souvent qu'à son tour dans la bande-son pianistico-romantique).
On s'en tamponne le coquillard. On s'en frotte le nombril avec la brosse de l'indifférence. On s'en tape. Rien à foutre. Cette histoire sans aucune importance et sans enjeu (je n'ai pas bien vu où était le problème, moi, et pourquoi ces gens pleurent toutes les larmes de leur corps) vous tombe des yeux sitôt la première bobine passée. Dans celle-ci, à la rigueur, on sourit à cette gentille dragouille entre nos deux compères, on note la justesse de quelques détails (la coquille dans les sms), on s'amuse à voir notre Poupaud rivaliser de stratagèmes en mousse pour séduire sa Fanny. Mais dès que la passion éclate, puisqu'on nous dit que passion il y a, on déchante. D'abord parce qu'en termes de passion, on a l'impression de passer tout de suite de la séduction à la rupture. Le film ne fait absolument pas exister ce couple, ne nous montre pas ce qui l'anime, échoue en un mot à filmer l'amour. On ne croit pas une seconde à cette passion, non pas à cause de la fameuse différence d'âge qui est censée être l'enjeu du film, mais à cause de l'incapacité de Tardieu à filmer des scènes intimes qui ne soient pas des drames larmoyants. Autre défaut terrible du film : Tardieu ne sait cadrer que des têtes qui parlent. Le corps est le grand absent du film, la question de la sexualité est envoyée dans les choux, alors qu'il me semble que c'est LE sujet à aborder. La caméra se livre à diverses acrobaties ridicules pour éviter de filmer l'actrice dans son plus simple appareil, c'est désolant.
Et puis, il y a une grande malhonnêteté à choisir Fanny Ardant (qui est très bien, je reconnais) pour le rôle : trop belle, trop "légendaire" en fin de compte. N'importe qui tomberait amoureux d'elle. Le courage aurait été d'engager une femme "normale", une vraie septuagénaire pour jouer le rôle ; là ça aurait été interrogeant, là ça aurait eu du panache de voir Poupaud tomber dingue de cette femme. Au milieu de toutes ces erreurs, Tardieu louvoie en prenant son air empreint de sensibilité et de gravité et livre un pensum pour petits vieux abonnés à Marie-Claire complètement privé de tension, de drames, de passion, de sexe, et même de problèmes, ce qui fait qu'on finit par se demander où est la nécessité de cette petite daube téléfilmesque, emplie d'une sororité hors-d'âge et d'une fausse humanité très énervante.