Ex Libris : The New York Public Library de Frederick Wiseman - 2017

45 ans après s'être enfermé au monastère (Essene), notre bon vieux Wiseman retourne en terres de silence : l'immense bibliothèque de New-York (et ses nombreuses annexes) qui sert de cadre cette fois-ci à un long film tourné vers l'humanisme, la démocratie et la culture. Un film bien de sa dernière façon, puisqu'encore une fois, il interroge dans la douceur la viabilité de nos institutions, affichant une bienveillance et une foi totale dans les vertus du partage et du "vivre-ensemble". Ce n'est pas par hasard s'il a choisi justement cette bibliothèque-là parmi les autres : la NYPL est située en plein cœur du cosmopolitisme de l'Amérique moderne, une de ses annexes est même posée en plein Bronx, et Wiseman va donc pouvoir y observer les efforts d'intégration de l'institution, tant envers la communauté noire qu’envers les sans-abris. Le cadre idéal, finalement, pour développer son regard optimiste sur la société, et pour observer une nouvelle fois la démocratie et le progrès social en marche.

Le fonctionnement de la NYPL est unique en son genre, représentant une sorte de paradis sur terre : on peut y emprunter des livres, bien sûr, mais aussi y exercer tout un tas d'activités, qui vont d'une conférence d'écrivain à un forum des métiers, d'une partie de Candy Crush à un cours d'informatique. Une sorte de temple du savoir, farouchement arc-bouté sur la gratuité et l'accès à tous, qui va jusqu'à fournir des kits de connexion internet aux plus démunis, et qui accepte même le clodo du coin venu roupiller au chaud. Wiseman filme tout ça, dans la longueur, sans commentaire, on connaît la recette, avec une profonde admiration pour ces professionnels du savoir, qui réfléchissent au meilleur moyen pour que les mômes viennent lire un livre ou pour que les Blacks s'y sentent aussi à l'aise que les blancs. Le film est donc presque en-dehors de toute réalité, malgré les plans sur l'extérieur qui jalonnent chaque nouvelle séquence : on y découvre un monde feutré et silencieux, attentif et concentré, loin du fracas du monde, où tout n'est que luxe, calme et savoir. Wiseman, contrairement à son habitude, se laisse lui-même aller à la simple fascination de toutes ces propositions culturelles proposées par la bibliothèque. Plus souvent qu'à son tour, il se prend à écouter dans la longueur tel écrivain développant sa thèse, ou à écouter tel concert classique proposé dans l'auditorium. Pour tout dire, le film est moins cohérent que certains autres, et on a bientôt plus l'impression que c'est un film sur la culture à New-York que sur l'institution de la NYPL elle-même. Wiseman perd souvent le cap, intéressé par les différentes propositions, et c'est un peu dommage : Ex Libris s'envisage plutôt verticalement, dirais-je, que dans son projet global.

Comme s'il s'en rendait compte, le bougre revient souvent à son sujet, et filme longuement les réunions du staff réfléchissant sur l'accès, la diffusion des œuvres, l'organisation des rayons (notamment sur la Bibliothèque de l'Image, impressionnante), la nature intrinsèque de sa place dans la ville et au sein du quartier. Discussions passionnantes qui montrent là aussi la volonté coûte que coûte de rester des vecteurs de la culture, de garantir l'accès aux œuvres pour tous. Une volonté qui s'oppose à la politique de Trump, tout puissant à l'époque, et c'est finalement peut-être là qu'il faut aller chercher la vraie nécessité de ce film. Rassurant et chaleureux.

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