Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappeneau - 1990
Eh ben oui, bon, voilà, une envie de belle langue et de raffinement en vers, bon, Cyrano de Bergerac. Ça permet à moindre frais d'écouter un français d'avant Nekfeu, et de se couler dans la culture classique tout en passant un bon moment, puisque ce film est finalement excellent. Tout le monde y met du sien, il faut dire : du scénario (signé Rostand, tiens, mais surtout re-pensé dans sa construction par le toujours partant Jean-Claude Carrière) aux costumes (ça y va fort du manteau en toile d'organdi et du chapeau à plume de faisan), des décors (beaucoup plus variés que dans la pièce, puisqu'on part sur les champs de bataille, dans les théâtres, sur les petites places de la ville, dans les couvents, avec toujours un grand soin apporté à la reconstitution historique) aux figurants (c'est l'école française, entendez mon pote Raymond habillé en haut-de-chausse, hilare et qui montre son visage quand il est dans le champ pour pouvoir se repasser la scène plus tard), de la mise en scène (académique, mais tonique) à l'interprétation (tout le gotha du cinéma cultivé de l'époque, avec quelques bénédictions du monde du théâtre), tout le monde n'a qu'une idée en tête : servir le mieux possible la formidable pièce, rendre justice autant à son humour qu'à son panache, conserver son aspect populaire, étonner, faire rire, favoriser la petite larme qui point, bref être la version définitive de ce qu'on peut faire dire à Cyrano de Bergerac. Et ça fonctionne très bien : porté par un Depardieu en sur-forme, ogresque et sensible, fin comme un renard et rentre-dedans comme un rhinocéros, le personnage de Cyrano rend toute son aura épique et romantique. C'est finalement plus dans les scènes peu spectaculaires que le gars envoie le plus de talent : dans ce dernier acte vraiment touchant, dans la fameuse scène du balcon, Depardieu est impérial, tout en mesure, émouvant sans en faire trop. Dans les scènes d'éclat de la tirade des nez ou du récit de son combat contre 100 spadassins, il est, disons, plus attendu, plus classique.
Face à lui, une pléiade de comédiens, tous plus ou moins compétents : on accordera la Palme à Jacques Weber, qui campe un comte de Guiche parfaitement odieux au départ, puis qui se teinte d'un vrai chagrin mélancolique à la fin, c'est très joli. Les autres ne déméritent pas, même si on peut regretter un Christian un peu fade (Vincent Pérez). Après, c'est le savoir-faire nickel et propre sur soi hérité des années 80, du cinéma français de qualité, à la fois pédagogique et spectaculaire, érudit et populaire. Les vers de Rostand, même ici placés parfois dans un joyeux désordre dû aux multiples décors, sonnent merveilleusement, rien à dire, ce film pourra être projeté sans rougir aux collégiens acnéiques dans 50 ans. On préférera, c'est vrai, la rigueur et l'épure d'un Chéreau, à cette démonstration un peu appuyée de Rappeneau, on tiquera devant cet étalage de fric et devant la lecture très traditionnelle qu'il livre de la pièce (un Christian neuneu, une Roxanne vaporeuse, un Cyrano fort en gueule mais blessé dans son petit cœur). Mais ma foi, on ne voit pas le temps passer, et on apprécie aussi ce genre de cinéma-là, qui vous cultive en vous faisant gentiment marrer et en vous émouvant sur la fin. Joli film, allez.