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28 janvier 2022

LIVRE : La Rose profanée de Sarah de Valmont - 2016

ScanIl aura fallu un concours de circonstances particulier (que je développerai dans mon autobiographie, qui s'annonce passionnante) pour que je me lance dans la lecture de ce livre, qui a priori a tout pour me déplaire : auto-édition, annonçant clairement son goût pour le style désuet, titre redoutable, j'aurais passé fort volontiers mon tour. Eh bien je l'avoue en rougissant : j'aurais eu tort. Voilà un roman qui m'a tenu en éveil, essentiellement parce que, ô miracle en ces temps contemporains, il est bien écrit. J'entends qu'il est écrit dans un style classique, parfois même, oui, académique, mais qui coule comme une eau bienfaisante dans le cerveau assoiffé de beauté littéraire de votre serviteur. Sarah de Valmont est une amoureuse du grand style du début XXème, les Alain-Fournier, les Mauriac, les Proust. Ça se ressent grandement dans la prose de La Rose profanée, où l'écriture est prise au sérieux, où le choix des mots compte, où le rythme interne de la phrase a son importance. C'est un style précieux et qui ne s'en cache pas, qui assume totalement son anachronisme, qui préfère aux démonstrations acrobatiques d'aujourd'hui la sage mesure de la lecture au coin du feu, à l'esbroufe ambiante la justesse des sentiments et des caractères, aux engagements tous azimuts une posture humaine. Et ça fait du bien. C'est même cette dichotomie entre présent et passé qui fait tout le charme du bouquin : on y voit des jeunes filles en fleurs écrivant dans des journaux intimes parfumés, des amours trahies, des pensionnats sévères et des atermoiements remplis de citations de Racine ou de Camus ; mais subitement, on voit apparaître un téléphone portable, une phrase à forte teneur sexuelle, ou un adolescent beaucoup plus moderne, et on est brusquement ramené à la réalité : l'auteur voit le monde d'aujourd'hui à la lumière de son prisme d'autrefois. Anachronisme délicieux qui tient sous le charme.

La Rose profanée raconte plusieurs trames, dont la principale est le portrait de cette jeune fille en fleur qui fait son entrée dans un collège à l'ancienne (on se croirait dans Le Cercle des poètes disparus ou dans le splendide Moi Charlotte Simmons de Tom Wolfe), et va y éprouver les derniers émois de l'enfance et les premiers de l'âge adulte. Sympathisant très rapidement avec deux copines, elle va traverser cette période entre découverte des premières émotions amoureuses et sexuelles (au mieux décevantes, au pire toxiques), l'amitié à la vie à la mort, les fêtes endiablées et sulfureuses, les émotions littéraires, sensations et impressions qu'elle consigne dans son journal intime, véritable caisse de résonance de son intimité. Peu à peu, à force d'expériences malheureuses, elle va se rendre compte que le monde qui l'attend n'est guère reluisant, rempli de garçons manipulateurs et pervers, de destins ratés et de déceptions. Une jeune fille innocente face à la trivialité de son futur, si vous voulez. Bon, le roman se perd parfois dans un trop plein de citations, dans des répétitions inutiles ou dans une construction trop lâche : il peut se transformer subitement en quasi-polar, en confession intime, en critique sociale (l’Éducation Nationale en prend plein le museau), dans le désordre, et Sarah de Valmont ne parvient pas à la beauté de Virgin Suicides, roman auquel il fait souvent penser. A force de vouloir tout mettre dedans, elle oublie de monter une progression dramatique, ou même une narration précise, et les contours du livre sont souvent flous. De même elle a la manie de nous faire attende des moments forts puis de nous décevoir une fois arrivés (on nous dit qu'une soirée va tout faire basculer, et quand la soirée arrive, elle expédie tout ça en deux pages sans qu'on ait vu la bascule annoncée). Mais pris verticalement, pourrait-on dire, le roman est délicieux, avec ces phrases amples et précises, à la grammaire impeccable, au tempo souvent intrépide, et on se laisse faire avec plaisir par ce style de grand-mère très attachant. D'autant que le roman est gentiment érotique quand il le veut, ce qui fait également du bien à d'autres endroits que la tête. On attend donc tous les sens en éveil un nouveau roman, édité dans les règles cette fois-ci.

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