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Shangols
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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
16 février 2022

La Nature (2019) d'Artavazd Pelechian

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Voilà quelque temps déjà que l'ami Gols me tanne avec Pelechian, je me devais donc d'être au taquet pour visionner sa toute dernière œuvre - qui sortira d'ailleurs en France au cinoche dans quelques semaines. Il s'agit là, donc, d'un doc d'une heure dédiée à Dame Nature et on dira surtout à sa sympathique puissance dévastatrice. Après une petite intro opéresque sur des monts tranquilles, des hauteurs enneigées, des sommets que viennent saluer des levers de soleil cyclopéens, après cette petite introduction paisible qui nous montre que la nature repose tranquillement dès lors que l'homme en est absent, un premier grondement se fait entendre nous faisant craindre, tout d'un coup, qu'il faut se méfier de l'eau qui dort... On ne croit pas si bien dire puisque dès lors la musique s'efface et on assiste à un véritable déferlement naturel : volcans qui s'éveillent, banquises qui baissent les bras, tornades qui se mettent en boule, tonnerre qui gronde et surtout, surtout des torrents d'eau qui décident de se déchainer. On a beau dire qu'il faut se méfier du Pastis à trop forte dose, on ne m'enlèvera pas de l'idée que l'eau peut se révéler neuf fois plus dangereuse : ces fleuves qui débordent, ces océans qui envahissent des villes, ces torrents d'eau qui prennent dans leur bras voitures, maisons, collections de timbres, on a beau avoir vu certaines de ces images des dizaines de fois, on reste subjugué par cette force tranquille et terrible de l'eau et par ces habitants qui regardent la chose médusés du haut d'une maison qui risque bientôt d'être emportée (cette pauvre femme qui agite naïvement un drap blanc avant que sa maison soit purement avalée par les flots) ou qui tentent de fuir à toutes jambes une vague de dix mètres avant d'être bêtement fauchés par un clapotis puis recouvert par un bus qui a perdu les pédales... De l'eau, oui, simplement de l'eau, qui quitte pour un temps sa route et qui se met en tête de faire partir en voyage toute une autoroute ou un village...

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Pelechian, bien sûr, n'en reste pas là puisqu'il enchaîne avec des tornades qui transforment des maisons en boîtes d'allumettes (la musique se fait rare, les quelques cris ici ou là suffisent à mettre l'ambiance), des volcans gravement en colères qui crachent leur venin comme des politiques français idiots, des torrents de boue qui aplanissent des collines comme s'il s'agissait d'une forêt noire (le gâteau of course) qu'on écraserait sadiquement avec une pelle à tarte, des éclairs qui pètent des poteaux électriques comme s'ils se prenaient pour Godzilla, bref c'est la gabegie, la Nature, bordel, montre qui est le patron et dispose des êtres humains et de leur construction en béton ridicule d'un revers cinglant de la main. Vent, feu, eau, on a notre dose de cataclysmes et de destructions massives. Sur la fin, sur un petit air de Mozart, on revient parfois à des images quelque peu plus apaisées (des volcans bouche bée qui se taisent, des nuages qui s'organisent dans les cieux...) mais ici ou là, encore, des gerbes de feu rappellent à l'homme qu'il ne faudrait pas trop prendre la confiance et que la Nature demeure définitivement la plus forte. Après cela, on ne regrette pas d'être resté chez soi avec son virus et on regarde le ciel et les éléments alentours (je suis quand même sur une île volcanique qui s'enfonce... avec la mer à quelques mètres) d'un œil (le dernier) relativement méfiant. Merci Pelechian pour cette petite démonstration de force et ce montage à faire pâlir tout météorologue catastrophiste dans un noir et blanc aussi grandiose qu'angoissant.   (Shang - 14/01/22)

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28 ans que Pelechian ne nous avait pas donné de nouvelles, et je ne sais pas vous, mais moi j'ai frôlé la dépression. Et le revoilà aujourd'hui avec ce film extraordinaire, qui renvoie le monde à ses études en une heure de temps. Laissez tomber, on a trouvé le film de l'année. On croyait cette école du montage soviétique finie, le bougre nous la ressuscite en deux-deux, et nous en livre une démonstration éblouissante. Car mine de rien, dans ce montage a priori classique (1/ le calme, 2/ la tempête, 3/ le retour relatif au calme), se déploie toute une grammaire de correspondances entre les plans, de sauts d'une image à l'autre, qui serait plus poétique que sémantique, toute une symphonie de sons absolument bluffante. Le tout au service d'un message simple mais pas inutile en ces temps de surenchère égotiste : on est des petites merdes face à l'immensité du cosmos. A l'instar du Godard d'aujourd'hui, qui ne filme plus rien mais cherche une alchimie entre les images et les sons déjà existants, Pelechian a une vision cosmique de la nature, et tente timidement ici de lui donner une cohésion, tout en livrant un message écolo bien d'aujourd'hui. Il récupère donc ces centaines de plans, les passe tous en noir et blanc pour leur donner une sorte d'homogénéité, et travaille au millimètre un montage qui met en valeur les formes, les masses, les strates d'ombre et de lumière : telle arrête de montagne correspond avec telle faille de banquise, tel nuage sombre renvoie à son homologue se reflétant dans l'eau... Comme s'il cherchait une cohésion dans le chaos, comme si son utopie était de retrouver un ordre dans ce qui n'en a pas, et justement au moment précis où cet ordre est bousculé. Il a toujours cherché ça dans ses films du passé : la beauté au milieu de la crasse, l'harmonie au milieu du tumulte.

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En plus de ces images traitées presque à égalité (comme Godard qui montre "à égalité" un plan d'un navet indien, une toile de Rembrandt et un plan d'Hitler), le bougre ajoute une palette de sons qui se répètent, les uns ne correspondant pas forcément à l'image qu'on voit, parfois même en contradiction avec lui. Si bien que j'en arrive au point central de ma docte thèse : La Nature n'est pas un documentaire, mais une tentative de poétisation du monde. Aucune volonté de la part de Pelechian de rendre compte d'une vérité, ses images sont trop triturées, trop "manipulatrices" pour ça. Mais une volonté de le comprendre, ce monde, ou en tout cas de le ressentir par l'image. C'est génial, et j'ai retrouvé parfois la fascination qu'a pu me procurer Histoire(s) du cinéma de Godard : c'est la même sensation d'un regard surpuissant, omniscient, presque divin, qui regarde l'histoire de façon à la fois verticale et horizontale.

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N'allez pourtant pas croire que le film est théorique ou abscons. Viscéral et éprouvant, il nous montre la nature dans toute sa majesté, cruelle et grandiose, trop grande pour nous. Le film est souvent mystique, nous parle d'un univers qui nous dépasse, évoque même Pascal dans sa vision à la fois angoissée et apaisée d'une puissance au-dessus de nous. Les images choisies par Pelechian sont spectaculaires, et on reste effectivement bouche bée devant ces tout petits humains emportés façon fourmis dans des énormes vagues, ou ballotés par des vents à décorner des bœufs, ou pathétiquement accrochés à un bout de planche alors que s'approche un torrent de boue grand comme un immeuble. Pendant la majeure partie du film, on est terrifié par ce qu'on voit, d'autant plus qu'on nous a montré, dans l'introduction, une nature privée d'humains, se portant très bien sans eux, mais tout de même très menaçante (ces arrêtes de montagne, ces volcans qui se réveillent), dopée par une musique sacrée qui la rend encore plus solennelle. Quand les premiers humains sont filmés, courant comme des fous devant un cataclysme, ils paraissent d'autant plus misérables. Ce film devrait être diffusé à tout le monde, des politiques aux enfants, des bougres repliés sur leurs problèmes de pouvoir d'achat à la con aux écolos, ils en tireraient tous des leçons édifiantes. En une heure, on voit beaucoup plus de quoi est capable la nature que dans tous les bouquins alarmistes qui sortent.

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Mais finalement ce que j'ai préféré là-dedans, c'est l'abstraction : là aussi en triturant les images, en les recadrant, en les agrandissant, en les ralentissant, en les répétant, Pelechian parvient à rendre de nombreux cadres abstraits : la lave d'un volcan, coulure lisse en fond d'écran, qui retombe de façon très "concrète" en braise au premier plan, on dirait du Twombly. A 83 ans, Pelechian revient nous faire voir, avec une modestie de propos qui force le respect, qui est le patron. Un film génial, immortel, insensé, qui rentre immédiatement dans mon panthéon personnel.   (Gols - 16/02/22)

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