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12 janvier 2022

143, rue du Désert de Hassen Ferhani - 2021

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Un petit air buzzatien flotte autour de ce documentaire, Le Désert des Tartares n'étant jamais très loin du concept de 143, rue du Désert. Même décor, même travail autour de l'attente, mêmes espoirs déçus, même constat d'échec : Drogo attendait l'ennemi à son poste de vigie, Malika attendra on ne sait quel avenir dans sa cahute postée au milieu du Sahara ; avec au bout du compte, le même constat que rien n'adviendra de quelque côté que ce soit, sauf peut-être le progrès, et ce n'est pas une bonne nouvelle. La bonne femme, célibataire, sans enfant, a décidé de s'installer au bord de l'autoroute qui traverse le désert, et d'y vendre aux routiers de passage du thé, des cigarettes, une minute de pause et de discussion sans façon. Autant dire qu'elle ne gagne pas sa vie en roulant sur l'or. La plupart des gens qui s'arrêtent dans sa gargote semblent le faire plus pour faire plaisir à la dame que par réelle nécessité, plus par respect pour cette minuscule vie perdue au milieu de nulle part que pour déguster un thé. Installée telle un poussah sur sa chaise, dans sa maison aux fenêtres ouvertes sur l'extérieur, Malika attend que le temps passe, que la vieillesse vienne, refusant fermement de quitter sa baraque quand on le lui propose, seulement tourmentée par la construction d'une grosse station essence juste à côté. La caméra de Ferhani restera entre ces quatre murs, ne les quittant que pour quelques mètres un peu anxieux autour pour aller filmer un accident lointain, une silhouette passant le long de la route, un camion qui passe... Mais mine de rien, c'est l'Algérie toute entière que ce film nous donne à voir, à travers le minuscule détail de cette maison abandonnée de tous : un pays en attente, tendue vers un hypothétique avenir, représenté par ces hommes (et cette femme) venus faire une pause ici, et rapportant le vent des nouvelles du pays.

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Le dispositif est radical, mais le film ne l'est pas. Il déborde au contraire d'humanité, montrant cette femme solitaire et ces hommes bienveillants qui la croisent quelques instants, mettant en valeur l'omnipotence de ce caractère unique, les pleins pouvoirs qu'elle exerce sur ses quelques mètres-carré. Son côté mutique répond parfaitement à ces hommes assez taiseux également (sauf un type rigolard qui va inventer une petite mise en scène mimant la prison), et la plupart de ces scènes montrent simplement deux êtres retranchés dans leur solitude, échangeant quelques mots sans conséquence en attendant d'être à nouveau séparés. La seule exception réside dans cette routarde allemande qui s'arrête chez Malika : dialogue un peu goguenard et méfiant de la tenancière, véritable élan de sympathie de la touriste, qui sera renvoyée dans les roses sitôt après son départ : "Un corps d'homme, un visage d'homme, elle n'a rien de féminin". On aime aussi cet homme qui tente de raconter des bribes de sa vie à Malika, qui le repoussera également une fois le gars reparti : "Tout ce qu'il a dit est un pur mensonge". En bref, c'est face à une vraie misanthrope qu'on se trouve, une vieille contre tout et tout le monde, mais qui va bientôt devoir revoir son existence : la station essence grandit, dans le déni pur de la dame. A la fois vigie et oubliée de l'histoire, Malika se tient finalement à la fois à l'extérieur et à l'intérieur de l'Algérie, la regardant passer de loin et dans l'indifférence, mais en même temps impliquée dans sa mutation, dans ses changements. Ferhani parvient à rendre compte de cet état de fait en restant dans le tout petit domaine, dans le plus minuscule dispositif, et c'est épatant de voir comme son film, qui a toutes les apparences d'un petit machin sans envergure, parvient à parler de grandes choses par la bande. Il le fait dans un bel hommage au western (on pense très souvent à La Prisonnière du Désert dans l'usage des surcadrages), et dans une exploitation exhaustive de toutes les possibilités de cette pauvre cabane isolée. Bien belle chose.

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