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Shangols
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19 avril 2022

La Loi de Téhéran (متری شیش و نیم) de Saeed Roustayi - 2019

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Voilà un polar à l'os qui n'a pas grand-chose à envier aux grandes œuvres d'un Scorsese, et qui y ajoute même une dimension sociale et politique qui achève de nous plonger dans le délice. Si vous aviez encore quelque doute sur l'état de déréliction de l'Iran moderne, remballez vos illusions : le pays tel qu'il nous est montré là-dedans est un cloaque où s'ébattent joyeusement flics véreux, justiciers corrompus, bandits sans morale, truands ayant pignon sur rue, le tout sur fond de misère humaine et d'asservissement complets. L'enfer sur terre, tout simplement, que le bon Saeed Roustayi rend avec une force brute, un ton sans concession, une vision du monde renvoyant tout le monde dos à dos. Renoir trouvait que tous avaient leur raison, et qu'à ce titre tous étaient excusables ; Roustayi lui répond que personne n'a raison, tout le monde a tort, et personne n'est excusable. C'est finalement la même démarche : la mise à égalité de tous les personnages, qu'ils soient d'un côté ou de l'autre de la barrière ; tous hantés par le vice et l'envie, amen.

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La première scène, géniale, donne le ton : une course-poursuite haletante, qui se termine par la mort la plus absurde qui puisse se concevoir. Dès lors, le film ne relâchera jamais son rythme, conduit à 200 à l'heure. Si le flic principal a un problème moral à régler, il le règle en trois secondes, l'important pour lui étant la vitesse, la force de frappe façon bulldozer. Son tempo endiablé va de pair avec celui de Khakzad, dealer sans vergogne mis en garde à vue, et qui n'a que quelques heures pour essayer d'échapper à la peine de mort. Ces deux élans parallèles, tout aussi speed l'un que l'autre, donnent à La Loi de Téhéran un côté nerveux et dynamique qui force vraiment le respect. D'autant que malgré ça, Roustayi n'est jamais dans la précipitation, dans le montage bêtement court, dans le brouillon : au contraire, au milieu de la vitesse, il prend le temps de dessiner avec soin un état de son pays, et sans oublier jamais son thriller, son polar, son suspense, parvient à parler de façon très pertinente de l'Iran tel qu'il le voit.

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Le flic du film, Samad Majidi (Payman Maadi, royal), est donc un bélier dont l'obsession est d'arrêter le vendeur de crack Khakzad (Navid Mohammadzadeh, énorme). Ses méthodes sont discutables mais payantes : toute la première partie du film le montre manipulant psychologiquement petits trafiquants, indics et seconds couteaux pour parvenir à sa cible, jouant facilement de la gifle ou de l'intimidation. C'est le lent travail de l'enquête, que Roustayi filme façon documentaire. A travers cette quête, on commence à deviner un pays corrompu jusqu'aux os, où chacun, pour survivre, est obligé de piétiner son voisin, un pays où le capitalisme galopant et le profit à tout prix ont fini par prendre le pas sur tout le reste. Une fois les deux ennemis mis face-à-face, c'est un superbe jeu de chat et de souris qui se déploie : Majidi, malgré sa brutalité, tente de garder un certain cap moral ; Khakzad, malgré sa culpabilité, se montre sous son vrai jour, celui d'un petit mec qui n'a trouvé pour survivre que la solution du banditisme. Avec une mesure étonnante dans un film par ailleurs si brutal, Roustayi nuance ses personnages, nous les montre complexes et ambivalents, nous indique que tout n'est pas blanc ou noir, et que nos opinions de départ ont besoin d'être revues. Surtout ce face-à-face se déroule sur fond de gabegie totale : pris dans la rafle, des centaines de quidams, drogués au crack ou simplement innocents, sont malmenées, parquées, déshabillées, stancées par des flics dépassés et ayant perdu tout sens commun. On pense carrément aux camps de concentration en voyant cette foule consentante et neutre conduite à l'abattoir. Ce réalisme social ne doit pas faire oublier qu'on est là face à un authentique cinéaste, qui sait cadrer et monter à la perfection, et qui sait tout aussi bien diriger ses acteurs ou plonger dans de grands tableaux avec pléthore de figurants. Surtout il se montre l'as de la rupture de ton, se permettant des scènes aberrantes (un garçonnet en slip qui fait de la gym dans le parloir d'une prison) au milieu de la violence. La scène de pendaison, enfin, reste durablement en tête. On a donc là un grand film qui nous instruit en même temps sur un fait alarmant (la montée de la drogue en Iran), nous donne une bonne dose d'adrénaline et n'oublie pas d'être superbement mis en scène. (Gols - 11/01/22)

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Voilà un film à que je gardais dans un coin de ma tête suite à la chronique ci-dessus de Gols. Ayant enfin mis la main dessus, j'avoue avoir été dès le départ séduit par ce rythme assez trépidant : non, il ne sera pas question ici de virée en 4x4 dans des montagnes filmées au coucher de soleil, mais en effet d'une plongée dans l'enfer de la drogue ; des flics qui défoncent des portes, des courses-poursuites qui s'achèvent de façon sordide, des quartiers ghettos qui effraient, des prisons surpeuplées, des flics qui tentent plus ou moins de surfer sur la loi ; pas de doute, cela faisait longtemps qu'on attendait une telle image sans concession de ce pays rongé par le même mal que n'importe quel autre pays occidental... Cette descente de flic dans ce terrain vague où des gens s'entassent dans des tuyaux de chantiers pour fumer du crack est en effet une séquence pour le moins prenante, impressionnante... Il y aura ensuite cette enquête menée tambour battant (trouver la personne qui ne pourra que nous livrer celle qui est au-dessus d'elle dans l'organisation pour sauver sa peau) et ce face-à-face entre ce traficant de drogue qui veut jouer les bonnes âmes (tout faire pour sa famille) et ce flic qui semble être quant à lui quelque peu désabusé autant sur le plan des relations amoureuses (un premier divorce sauvé des eaux) que des relations amicales (son collègue qu'il manipule pour sauver sa peau). On sent bien qu'on est dans un monde à la Darwin où tous les arguments, tous les moyens brutaux, tous les coups de bluff sont bons pour arriver à ses fins. On apprécie et le rythme est en effet soutenu...

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Et puis, je sais pas, comme si Roustayi s'était un peu senti des ailes pousser, comme s'il avait besoin de donner de l'ampleur à son sujet, il va un peu multiplier les pistes : les intrigues dans cette prison aux allures d'enfer (le trafiquant et ses coups de fil à l'extérieur, l'histoire de ce père qui tente de convaincre son gosse de s'accuser à sa place), les relations entre le flic et son second (quant à la disparition du fils d'icelui, quant à la disparition, ou pas, de sachets de drogue) ou encore les justifications lourdingues de ce trafiquant qui veut se donner le beau rôle (sa dévotion envers les siens) ; on sent que tout cela doit permettre de dresser un tableau encore plus torve de cette société où chacun tente de tordre la réalité pour s'en sortir, mais on s'embourbe un peu dans ces intrigues secondaires un peu longuettes ou dans ces justifications qui tirent en longueur (on avait compris l'argumentation du trafiquant, se la retaper trois fois, devant le flic, devant le juge, devant ces proches... brrrr c'est lourd... tout comme d'ailleurs ce gamin qui fait sa petite gymnastique "grâcieuse" dans ce lieu si violent : un peu too much, hein, le contraste...) ; on sent qu'on était à fond pendant ces premières quatre-vingt-dix minutes et que Roustayi peine terriblement à trouver un second souffle dans cette partie plus "analytique" ; il ne sait plus couper les scènes au bon moment, et semble vouloir tout garder comme pour montrer la dimension de son constat - malheureusement il dénerve un peu son film jusqu'à cette séquence de pendaison, brute, certes, mais pour lequel, un peu épuisé par toutes ces tergiversations, on ne ressent plus guère d'empathie - pour ma part, tout du moins. Dura lex mais une loi qui, à force de faire un peu feu de tout bois, dilue un peu son impact. On espère le retrouver à Cannes avec une mise en scène toujours aussi efficace mais un scénar un peu plus plus sec !   (Shang - 19/04/22)

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