Salinger reste encore et toujours une référence pour les jeunes auteurs, et pose à nouveau son ombre sur ce premier roman sympathique mais pas complètement abouti pour autant. Il y est, comme dans L'Attrape-Coeurs, question d'une adolescence légèrement déviante, un petit personnage que son auteur s'efforce de nous rendre attachant et contemporain, et dont on suit les plus intimes pensées depuis l'intérieur. Autrement dit, Salomé Kiner prend le grand risque de parler depuis l'enfance, disons, à la place de son héroïne de 14 ans, ce qui est toujours très casse-gueule. Premier constat : contrairement à nombre de ses prédécesseurs, elle réussit plutôt de ce côté-là. Le roman est écrit dans une langue dynamique et drôle qui peu à peu, nous convainc qu'il a été écrit par une adolescente, comparaisons fleuries et audaces stylistiques à l'appui. Le regard posé sur la société qui entoure cette petite, ses sentiments sur les gens qui l'entourent (copines écervelées, garçons minables et dangereux, adultes impuissants...), l'humour déjà désabusé avec lequel elle aborde sa triste vie, tout ça témoigne d'une vision qui doit tout à l'enfance, mais qui la prend au sérieux, qui sait la déniaiser. Ce que nous raconte le livre est en effet bien raide : la vie d'une jeune fille pleine d'espoir (elle veut devenir hôtesse de l'air) mais qui se heurte à la dureté de la vie. Contrainte de se prostituer, ballottée entre une mère dépressive et une sœur caractérielle, maltraitée par les garçons, contrainte de grandir avant l'heure pour assumer des responsabilités trop grandes pour elle, elle n'a pour s'en sortir que son caractère, qu'elle a saillant, son humour, qu'elle a vif, et une ou deux copines avec lesquelles il est bon de piquer dans les grands magasins et de rêver à une vie remplie de flouze. Un portrait misérable d'une enfant au tournant du siècle (le livre se déroule à la fin des années 90), mais que Kiner parvient justement à ne rendre jamais misérabiliste : elle arrive toujours, par un trait de fantaisie, par un détail, à nous tenir sur la crête entre malheur total et cynisme un peu facile. Bon, c'est vrai que le roman ne va pas plus loin que ce gentil portrait amusant d'une enfant qui arrive à surfer au milieu du marasme, et qu'on aurait aimé qu'il raconte un peu plus que ça, un peu plus que ces petites anecdotes déjà vues ailleurs. Tel quel, le livre paraît déjà lu, un peu inutile, et ne serait la fraîcheur de la langue de Kiner, on pourrait le ranger dans la catégorie des livres à jeter sitôt après lecture.
07 janvier 2022
LIVRE : Grande Couronne de Salomé Kiner - 2021
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