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Shangols
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4 décembre 2021

LIVRE : Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes (The Motion of the Body through Space) de Lionel Shriver - 2020

9782714494375,0-7425915Voilà un roman tout indiqué pour mon Shang puisqu'il s'attaque aux méfaits du sport intensif pour la vie de couple et pour la santé en général, ce qui, au vu de ses photos de randonnée où il affiche une forme insultante, pourrait bien lui claquer sa grande gueule. C'est à l'âge de la retraite bien sonnée que le syndrome s'attaque à Remington, le mari de la narratrice : c'est décidé, il veut tenter un marathon, lui qui n'a pour l'instant jamais approché un stade ou un banc de course, lui qui se pète un tendon dès le premier kilomètre, lui dont la santé est même déclinante depuis quelques temps. Il oppose donc à sa femme une fin de non-recevoir en bonne et due forme : elle a su jadis faire du sport de façon intensive, à la grande indifférence de son mari d'ailleurs, c'est son tour maintenant, et il est bien décidé à surpasser sa moitié dans l'exploit. Et elle est priée de supporter cette nouvelle lubie avec enthousiasme, d'aller l'encourager sur le bord des routes et de faire des pâtes à ses nouveaux amis sur-entraînés et dopés à la victoire. Parmi eux, une sorte de coach robocopisé, Bambi, représente à elle seule la faillite de cette société hygiéniste persuadée que le corps n'a pas de limite. Entre cette faune sevrée au culte du corps, une fille rancunière atteinte de mysticisme, un fils dealer et des problèmes de santé lancinants, Renata plonge dans la perplexité, et en profite pour nous balancer sa vision du monde moderne, guère reluisante mais franchement hilarante.

Shriver est dotée de ce regard très acéré sur ses contemporains qui remporte le morceau des les premières lignes. On se tape à priori du sujet, mais pourtant cette simple décision met en danger toutes les fondations du couple, au point de le faire vaciller. Armée de son humour cynique mais très juste sur notre société de compétition à tout va, de développement personnel à la con et de coach personnel surpayé, elle se paye la tête aussi bien de ces néo-sportifs adeptes du culte de la personnalité et du BPM que de leurs conjoints souvent dépassés et amers face à ceux qui les dépassent. L'écriture de la dame est acide, et on plonge avec délice dans ce monde horrible des sportifs de haut niveau qui ne sont que des êtres comme tout le monde. Le couple qu'elle décrit est capable d'une honnêteté totale, qui le pousse à s'autocritiquer avec froideur et justesse ; et le constat est terrible. On ne sait si l'on doit rire au pathétique de ces êtres qui ne se comprennent plus alors qu'ils ont été si complices, qui s'éloignent alors qu'ils ont été fusionnels, ou s'il faut pleurer devant ce portrait de l'existence désespérant : le vieillissement, chez Shriver, est avant tout une ruine des relations sociales, un affaissement du corps, alors qu'à l'intérieur vibrent encore des pulsions d'adolescent. Dommage que le livre ne tienne pas son miraculeux ton parfait jusqu'au bout : dans la deuxième moitié, Shriver rame un peu pour trouver sa trame, se perd dans les détails, oublie son ton moqueur, se laisse aller aux répétitions. On termine la chose pas très convaincu par cette fin un peu bâclée. Mais pendant les 200 premières pages, on se sera bien marré tout de même, et on aura constaté avec la narratrice que ce monde est bien triste et bien drôle. Qui aurait dit qu'un livre sur le sport puisse parler aussi justement du rapport amoureux, de la jalousie, du vieillissement, du dépassement de soi, de la confiance dans les autres, et puisse en parler qui plus est aussi irrésistiblement ? Délicieux moment.

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