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Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
26 décembre 2021

Tre Piani de Nanni Moretti - 2021

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Il va peut-être falloir commencer à faire une croix sur les comédies morettiennes qui illuminèrent notre passé, et peut-être même sur ses grands films. Désormais le bon gars nous abonne aux films mineurs, certes tout à fait corrects et plutôt sensibles, mais qui sont très loin de son génie de jadis. Tant pis : à défaut de trouver un nouveau Journal intime, replions-nous sur Tre Piani, honnête et beau film d'artisan, très en retrait, qui déploie sa trame tentaculaire avec un certain savoir-faire. Le constat le plus cruel là-dedans quand même, c'est que Moretti oublie un peu sa mise en scène et se contente désormais de filmer des histoires : tout dans l'écriture, plus grand chose dans le cinéma, on y perd au change, et on préférait les audaces qu'il se permettait parfois à ce genre de film sage et propre.

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Ne soyons pas trop dur : Tre Piani est un beau film, qui raconte la vie d'un immeuble à travers trois foyers, cristallisés autour d'un événement traumatique placé en ouverture du film. Andrea, vingt ans, bourré, tue dans un accident de voiture une jeune femme, sous les yeux de ses voisins. Ce drame va en déclencher plusieurs autres façon battement d'aile de papillon : on a les parents d'Andrea, inflexible et insensible couple (Moretti incarne un juge d'une rigueur excessive) qui, à force de droiture, vont perdre complètement leur fils ; on a la voisine, jeune maman dont le mari est souvent absent, et qui vrille peu à peu pour tomber dans la folie ; on a Lucio (épatant Riccardo Scamarcio), brave père de famille obsédé par une malheureuse soirée où sa fillette a (peut-être) été agressée sexuellement, volage le temps de quelques minutes qui vont lui être fatales. C'est un bref aperçu des atermoiements et drames vécus par ces personnages, racontés en trois périodes et regroupant un quinzaine d'années au total. Un peu comme si Moretti se mettait à son tour à la série, mais qu'il condensait l'action sur deux heures. C'est un peu là que le bât blesse au niveau de l'écriture : la somme de tragédies vécues par ces personnages semble un peu too much resserrée ainsi en si peu de temps. Très (trop) écrit, le film plaque des situations souvent très improbables sur un contexte plutôt réaliste, et ça donne une impression d'artifice. C'est du cinéma à l'ancienne, quoi, très très travaillée au niveau de l'écriture jusqu'à menacer d'étouffer le film, et qui fait toute confiance aux acteurs pour faire passer ses invraisemblances.

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Moretti a raison de tout confier aux acteurs : sa bande de comédiens fait tout passer, même les scènes un poil trop mélo pour être vraiment crédibles. On reconnaît son Moretti à trois kilomètres : c'est la même direction d'acteurs très subtile, dans la sobriété, au service de l'histoire ; ce sont les mêmes notes de piano nostalgiques (ici complétées par un violoncelle tout en douleur) ; c'est la même impression de temps qui passe et détruit tout, les amours, le quotidien, les enfants... Moretti ne refuse pas de faire pleurer son spectateur, et il est vrai que de temps en temps, la larme point, même si on est bien conscient que le gars en rajoute un peu dans le tire-larmes ou dans le dessin de ses personnages (lui-même joue un type trop d'un bloc, auquel on ne croit guère). Bizarre du coup qu'il ait cherché absolument un happy-end à tout ça (un revirement dans la dernière scène qu'on ne comprend pas), et qu'il rate certaines séquences immanquables (une scène de tango dans la rue qu'il aurait rendue déchirante du temps de Palombella Rossa et qui ici tombe à l'eau). Malgré tout ça, allez comprendre, ça fonctionne plus souvent qu'à son tour, et on se retrouve souvent tout ému devant les coups du sort funestes qui s'abattent sur nos petits êtres ordinaires, surtout quand ils sont supportés par le beau sourire apaisant de Margherita Buy, la présence magique d'Alba Rohrwacher ou la jolie frimousse à l'ancienne de Denise Tantucci. Une sorte de petite musique magique, éternelle, réconfortante, humaine, qu'on entend toujours chez Moretti et qui ne s'éteint pas malgré les films plus mineurs qu'avant. (Gols 13/11/21)

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C'est vrai qu'on est là dans de la vieille dentelle, dans du récit finement tressé qui nous balance tout de même deux ellipses (deux petits sauts de cinq ans... qui n'ont d'ailleurs pas un grand impact sur le caractère de chacun), dans du film choral où chacun doit gérer sa relation avec ses enfants, avec son couple, avec ses erreurs... Les enfants semblent bien être le point de départ de ces histoires qui dérapent progressivement : un gamin irresponsable qui porte un coup terrible à la relation entre ses parents (Moretti, inflexible, qui le bannit, Buy, sa compagne, qui ne peut faire sans et se contente ensuite de miettes de vie), une gamine qui se perd dans un parc avec un vieux touché par Alzheimer et le père de cette gamine qui commence à projeter en cet événement toutes ses peurs (touché à mort par cette absence de surveillance,  imaginant le pire, le doute l'atteint, il fait lui-même un écart, puis deux et sa vie lui échappe), un nouveau-né qui concentre toute l'attention d'une femme dont le mari est absent plus souvent qu'à son tour, une situation qui finit par atteindre psychologiquement cette femme dont les propres antécédents familiaux l'effraient. Un enfant qu'un père rejette (créant un trouble dans son couple), un autre avec lequel un père s'implique trop (détruisant son couple par la bande), un dernier dont le père est aux abonnés absents (et un couple qui s'anéantit).

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Le jeu des acteurs est une nouvelle fois parfait (Buy, toute en tourment, Tantucci (mazette !) toute en charme et en frustration, Alba Rohrwacher toute en folie douce) et Moretti, sans forcer son talent, aux ordres d'un scénario en béton, faisant juste glisser ici ou là sa caméra vers ses acteurs pour nous les rendre plus proches, plus humains, de nous livrer un patchwork d'histoires de famille où les émotions finissent toujours par poindre... Il y a ces très beaux moments de tristesse (un homme pleurant devant sa fille mutique, déconnectée), de nostalgie (une femme appelant un répondeur pour entendre la voix de son mari, décédé, et se confiant encore à lui), d'espoir (une femme qui rompt les amarres, quitte ce qu'elle a de plus cher au monde, pour goûter enfin à la liberté) qui viennent donner au film tout son intérêt, toute sa profondeur... Rien de bien moderne, certes, là-dedans (la réaction de Moretti devant le scénario de Titane en dit long) mais une façon toute en nuances de s'approcher au plus près des émotions, des fractures d'une vie, d'une faille sensible dans un individu, de nous montrer des relations où l'érosion semble inéluctable. Une maîtrise narrative et cinématographique presque trop parfaite, comme un crime. (Shang 26/12/21)

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