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Shangols
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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
13 janvier 2022

La jeune Fille et l'Araignée (Das Mädchen und die Spinne) (2021) de Ramon & Silvan Zürcher

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J'avais laissé le soin à l'ami Gols de parler du premier film des frères Zürcher, il était donc normal que je chronique le second ; s'il s'agit de toute évidence d'un cinéma du détail, de la nuance, de l'ineffable, ce n'en est pas pour autant une œuvre chiante et molle ; au contraire, je me suis dès le départ laisser porter par le regard bleu azur de la belle Henriette Confurius comme pour ne rien manquer de ses attentions envers les autres, de ses désirs, de ses déceptions. Tout se joue ici en vingt-quatre heures : un appart dans lequel Henriette accompagne son ex-colloc, une petite fête et puis retour dans cet appart où l'Henriette, elle, est restée, le temps de débarrasser les ultimes affaire de sa colloc. Autant dire qu'il se passe moins de choses que dans Die Hard. Seulement voilà, autour de notre héroïne, une foule de personnes s'agite : en plus de cette ancienne colloc avec laquelle elle semblait entretenir des liens plus qu'étroit, il y a la mère d'icelle (qui entretient des rapports tendus avec sa fille et qui craque pour un déménageur entre deux âges), il y a d'autre collocs ou voisines, allumeuses, charmeuses, revêches, il y a ce jeune garçon qui participe au déménagement et qui échange avec Henriette des regards qui en disent long, il y a des enfants qui apportent un tourbillon de bruit, il y a une vieille, des chiens, un chat et puis même, dis donc, une araignée... Tout ce petit monde se tourne autour alors même qu'une page (de la vie des deux anciennes collocs) se tourne aussi et qu'une nouvelle page commence timidement à s'écrire... 

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Ce que les frères Zürcher réussissent ici sans doute le mieux, c'est le réglage constant de ce ballet, cette façon aussi bien de gérer quatre ou cinq personnages s'agitant à l'image sur plusieurs plans que celle (Gols a une érection) de jouer avec les hors-champs ; si la personne au centre de l'écran concentre notre attention, on n'en oublie pas pour autant la personne qu'elle regarde, ou à laquelle elle pense ou tout simplement la personne qui la regarde, plus ou moins secrètement, en captant éventuellement un dialogue auquel elle n'était pas forcément conviée. On se délecte de ces gens qui se frôlent, dont les regards échangés (entre Henriette ou la mère avec les déménageurs) en disent plus long qu'un discours, dont les petits sourires cachent souvent des désirs immarcescibles. Certains se trouvent, certains espèrent se retrouver, certains échouent à se trouver. Il y a donc ce petit jeu sentimental qui se déroule avec ces attractions et ces tensions mais il y a aussi la volonté d'évoquer des thématiques aussi diverses que les souvenirs (qui laissent des marques inoubliables), que le temps qui passe (abîmant au passage les relations), que les regrets (qui n'a pas eu droit à son lot de blessures, de déception ?). Henriette, au centre du dispositif, capte à la fois la plupart des regards, des femmes comme des hommes, sans vraiment pour autant vivre pleinement ses amours (cette colloc qui lui échappe, ce petit déménageur "infidèle" avant l'heure...)... C'est elle, aussi, qui incarne le mieux, de par ses gestes, de par son comportement, toutes ces petites fêlures de la vie : ce café qu'elle renverse, ce gobelet qu'elle perce, ce tournevis qu'elle plante, cet ongle qu'elle se rogne - ce n'est sans doute d'ailleurs pas pour rien qu'elle porte en elle ces petits stigmates du malheur (ce doigt écorché, l'herpès, la blessure au front...). Si les cinéastes soignent leurs plans en insert sur des objets, apportent un soin véritable à ces multiples détails que l'on retrouve d'un plan à l'autre, ils n'en oublient pas pour autant, ô joie, de soigner leur dialogue ; ces derniers, notamment, font la part belle aux petites paraboles (l'histoire de l'oiseau qui résume la tension entre la mère et la fille, l'histoire de l'araignée qui souligne les doutes d'Henriette, l'histoire du chat qui évoque le manque, l'absence, la solitude...) et aux petites anecdotes qui en disent long sur les pensées de tel ou tel personnage. Tout fait sens dans ce petit dispositif diablement malin et l'on se régale de voir traiter avec une telle finesse un tel ballet sentimental avec ses micro victoires et ses dommageables échecs. Bien belle toile.   (Shang - 11/11/21)

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Ce qui force surtout le respect dans ce film des frères Zürcher, c'est que tout ce qui passe d'ordinaire dans le verbal, tout ce qui aurait été explicatif chez n'importe quel cinéaste, passe ici par les seuls outils de la mise en scène. Il est rare de nos jours de voir les cinéastes se tourner avec autant de gourmandise vers les purs outils du cinéma pour exprimer leurs idées, le scénario étant depuis toujours le roi au dépends de la réalisation. Ici, c'est donc tout le contraire : c'est par le jeu subtil des regards, des hors-champs, des déplacements de caméra, du montage, que le film déploie son sens. Que celui-ci ne soit au final pas d'une profondeur extrême importe finalement peu : on a vu pendant deux heures un style se déployer, au sens strict du terme, et c'est bien satisfaisant. L'impression que j'en ai aujourd'hui (j'ai vu le film il y a trop longtemps pour en parler avec clarté) est surtout due au ballet très millimétré auquel se livrent tous ces personnages. Il y a quelque chose du Renoir de La Règle du Jeu dans cette façon de faire se croiser dans un seul mouvement énergique les êtres, et de montrer les relations entre eux par le mouvement justement. On termine de filmer un dialogue entre deux personnages et au second plan une autre scène commence, qui va elle-même déboucher sur une nouvelle séquence, avec une fluidité étonnante.

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Au milieu de cette agitation, Mara est clairement d'une autre planète, seul être immobile et inoccupé de l'équipe, qui adopte dès le départ une posture de spectatrice ; si bien qu'on se demande ce qui lui prend, d'autant que son visage est touché par un herpès qui a tout d'un mal psycho-somatique. Elle sera le témoin du film, finalement, à la fois extérieur et intérieur à lui, créant ainsi un personnage étrange, opaque, qui met un peu mal à l'aise avec ses sourires nébuleux. Tout ce qui se passe autour d'elle nous échappe un peu, les motivations des autres personnages sont floues, on peut s'énerver ou s'aimer indifféremment, l'agitation semble un peu vaine. Comme si le film se tenait à l'orée d'une sorte de rêve, ce qu'implique aussi la chanson de Desireless qui sert de fil conducteur (retour en force de "Voyage voyage" utilisé dans deux ou trois films l'an passé) : atmosphère ouatée et étrange, où les sentiments ne disent pas carrément leur nom, où les réactions peuvent être complètement inattendues... jusqu'à, oui, frôler une atmosphère un peu fantastique très agréable à éprouver. Un film envoutant et insaisissable, en tout cas.   (Gols - 13/01/22)

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