LIVRE : Murnau des Ténèbres de Nicolas Chemla - 2021

Vrai plaisir que de se plonger dans ce livre cinématico-exotico-artistico-historique qui retrace d'une très belle façon (Chemla ne se fout pas de son lecteur en le baignant totalement dans les atmosphères de ces mers du sud) le tournage du dernier film de Murnau, Tabou. Si Chemla introduit son livre en évoquant son désir, personnel, de briser les ponts, de partir au bout du monde, de redonner du sens à sa etc..., il ne tarde point à nous immerger totalement dans son récit par le biais et le témoignage d'un curieux vieillard qui semble avoir été le témoin privilégié de ce tournage "extraordinaire" et de la fin tragique de ce cinéaste allemand éclairé... Il retrace avec précision ce qui amena Murnau en ces terres (le compagnonnage avec Flaherty notamment - dont on a d'ailleurs hâte, chemin faisant de de couvrir le Moana de 1926), sa découverte de cette culture du bout du monde et son désir de faire une œuvre totalement imprégnée des ces cieux, de cette grâce, de cette nature, de cette humanité des premiers temps... Si les mésaventures furent légion, le tournage fut loin d'être aussi catastrophique qu'on l'eut cru : Murnau, seul maître à bord, fit tout pour que ce film reflète totalement ce qu'il avait en tête, se vouant corps (la vie sexuelle du Murr évoquée avec tact et parcimonie) et âme (les fameuses théories de Murnau sur l'ombre et la lumière joliment et intelligemment débattues) à la réalisation de la chose. C'est toute une époque hallucinée du cinéma que Chemla tente de faire revivre mais également un lieu devenu mythique artistiquement (de Gauguin à Loti très souvent cité) qu'il décrit avec une véritable passion. Chemla, en effet, ne se contente de nous conter la vie de Murnau par le petit bout de la lorgnette ; il nous donne un souffle à cette aventure et évoque avec un souci ambitieux du détail la flore, la géologie, la culture polynesienne, son histoire, son art, sa relation spirituelle avec ses dieux, sa relation intime avec la nature. Du coup, ce tournage et cette histoire ne prennent par des allures de simple petite anecdote pour simples cinéphiles passionnés. On est véritablement happé par le voyage autant géographique qu'intérieur de Murnau à la rencontre d'une civilisation qui le transcende, tout autant qu'elle transcende son art ; certes, l'homme n'eut pas toujours un comportement en total accord avec les coutumes locales mais notre bon Friedrich Wilhelm fut le premier à en payer le prix (de l'investissement de sa fortune dans ce projet à sa fin tragique, curieusement annoncée, prévisible en un sens...). Chemla réussit parfaitement à nous faire revivre ce destin de dingue dévoué à son art et à nous mettre des images pleins la tête tout comme le fit ce grand Murnau par ces films oscillant entre une noirceur brute et une lumière sacrée. Définitivement dépaysant, intelligent et passionnant, que demander de plus (ah oui, tiens, il n'est jamais question d'Herzog, pas la moindre allusion, comme quoi...) ?