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1 septembre 2021

LIVRE : Au Printemps des monstres de Philippe Jaenada - 2021

9782080238184,0-7446996Motivé par ses récents succès, notre Jaenada se sent pousser des ailes en cette rentrée 2021 et nous pond un de ces gros pavés denses et quasi-illisibles qu'on écrit parfois dans une carrière, et qui devrait rester comme son point culminant. On le sait depuis quelques temps : Jaenada a fait du fait divers sordide et de l'erreur judiciaire ses chevaux de bataille. Il a déjà produit ici ou là des livres hyper-documentés et précis sur des meurtres, mais il nous offre avec Au Printemps des monstres le livre ultime sur le sujet. A la base pourtant, rien que de tristement banal dans ce crime presque ordinaire : un petit garçon trouvé mort dans une forêt en 1964, et très vite son assassin présumé, surnommé "L'étrangleur" par la presse, qui inonde les médias et la famille de lettres provocatrices et menaçantes. Même si le gars raconte cette sordide histoire avec précision et dynamisme, reconstituant la psychose dans laquelle a vécu le pays dans les quelques jours où l’Étrangleur était en liberté, retrouvant avec acuité les ambiances des années 60, du Paris de l'époque, remontant avec un sens du détail incroyable le parcours du petit Luc Taron, son probable destin, et les agissements de son meurtrier, on se dit qu'on est malheureusement là face à un crime tout ce qu'il y a d'ordinaire : un gosse qui tombe un soir sur un prédateur timbré, et boum. Dans les 250 premières pages, Jaenada raconte ça, la face visible de l'iceberg, et restitue avec maestria toute une époque. Il raconte surtout le vie de Lucien Léger, donc, accusé du meurtre suite à ses aveux circonstanciés, coupable absolument idéal et sans nuance de doute qui passera 40 ans de sa vie sous les verrous avant de s'éteindre pitoyablement dès sa sortie de prison, seul, proscrit, humilié et oublié de tous.

Mais le livre fait 750 pages, et au bout de cette affaire, une fois tout bouclé, une fois la narration terminée, on se demande bien ce que Jaenada va faire pour occuper le reste du bouquin. Ce n'est certes pas en incluant dans son récit la narration de sa propre vie (il écrit le livre alors qu'il est malade et va se faire opérer d'une tumeur délicate à la tête) qu'il va arriver à nous passionner pendant 500 pages serrées et denses comme une forêt vierge, même si ces passages sont agréablement légers et apportent une respiration bienvenue dans l'enquête policière bien sombre. Ce qu'il va faire est assez renversant : une révision complète de l'affaire, 70 ans après. Il retourne donc à chaque détail, à chaque micron de témoignage, chaque minuscule indice, chaque lettre, chaque interview, chaque donnée, pour retourner complètement notre point de vue : oui, tout accusait Lucien Léger, et pourtant, pourtant... s'il était innocent de ce meurtre ? La démonstration est brillante : le travail de titan auquel se livre Jaenada, qui fait de cette affaire son obsession exclusive (et presque effrayante) porte ses fruits, et on a l'impression au bout du livre de TOUT connaître de cette histoire, depuis la nuance de couleur du pull que portait le môme jusqu'aux mœurs sexuelles de la concierge de l'immeuble, depuis la météo le soir du crime jusqu'à la biographie complète du beau-frère au voisin du témoin du facteur qui a vu Lucien poster une lettre le 17 décembre 1964 à 8h21 vêtu d'un manteau en velours et légèrement enrhumé. Ce travail sidérant devient une sorte de monstre au fur et à mesure du livre, qui devient lui presque illisible : comme Bouillier (cité d'ailleurs) avec son Dossier M, Jaenada tente un truc assez extraordinaire : épuiser tout ce qu'il y a à dire sur un sujet, explorer la moindre piste, aller au bout du bout du bout de son investigation, tenter l'exhaustivité, quitte à perdre son lecteur, quitte à transformer son livre en pur objet, en expérimentation simple. Dix fois trop long mais ne pouvant pas être plus court, beaucoup trop complexe mais ne pouvant pas être plus simple, souvent ennuyeux mais ne pouvant pas se résoudre à être un divertissement, Au Printemps des monstres est lui-même un monstre, dans lequel son auteur s'est sûrement perdu plus souvent qu'à son tour jusqu'à certainement en devenir fou, et dans lequel on se perd, englouti qu'on est devant la somme de faits, de personnages, de détails, de dates...

Plus que ce triste meurtre d'enfant, plus que cet homme accusé injustement (selon l'auteur, qui échoue d'ailleurs à complètement faire balancer notre opinion : son enquête, aussi précise soit-elle, apparaît bien souvent partisane, trop soucieuse de prouver coûte que coûte son opinion de départ, et peinant à nous convaincre de la viabilité de ses thèses, qui ne reposent souvent que sur des suppositions), plus que tout ça donc, c'est le portrait des personnages qui ont entouré cette mort qui apparaît pertinent. Jaenada dessine une société de monstres autour de ce petit garçon : parents torves, bande d'assassins au passé trouble fait de collaborations nazies, d'accointances avec l'OAS, de névroses, voire d'autres meurtres, avocats orgueilleux et inflexibles, enquêteurs incompétents, pas un pour sauver l'autre dans cet univers sordide. Le monde qui entourait Luc Taron, a priori si simple, se découvre peu à peu dans toute son horreur, de laquelle ne sera sauvé au final qu'un seul personnage, la femme de L’Étrangleur, véritable deuxième victime de cette affaire, et beaucoup moins médiatisée celle-là. Le livre tend à prouver au final que toute affaire recèle un univers entier de complexités, si bien qu'on se dit que la vérité complète ne peut jamais se faire jour dans les faits divers. C'est donc bien tristes qu'on quitte ce récit rempli de fantômes et de pathétiques figures, avec toutefois une admiration totale pour cet auteur qui est allé au bout d'une affaire pour, enfin peut-être, arriver à en raconter tous les tenants et aboutissants. Monstrueux.

Commentaires
M
Moi qui n'apprécie pas particulièrement les polars, je me suis passionné pour cette histoire véridique basée sur une lecture attentive de tout ce qui a pu être écrit par les policiers, les juges et les journalistes sur cette affaire qui garde une part de mystère. Comme les trois livres précédent de Phlilippe Jaenada j'ai dévoré ce pavé impressionnant. C'est devenu sa marque de fabrique, Philippe Jaenada prend un fait divers, rouvre les dossiers judiciaires, épluchent les archives, mène sa propre enquête, revient sur les lieux du crime pour nous livrer un récit à tiroir. Il a l'air de mener un récit, de dévoiler les ressorts des personnages au fur et à mesure, de nous prendre à parti et de nous dévoiler son opinion à travers ses parenthèses, (et ses parenthèses dans ses parenthèses) . En cette année 1964 les médias s'emparent des messages de "l'étrangleur" qui prétend tout savoir sur le meurtre du petit Luc Taron. Les péripéties et les découvertes s'étalent sur une quarantaine d'années, on se perd parfois dans les méandres de ce récit à tiroir où il faut démêler le faux, du peut-être vrai. En nous dévoilant la correspondance intime du couple Lucien et Solange, Philippe Jaenada se passionne pour leur destin tragique. Elle meurt dans sa chambre d'hôtel probablement d'une overdose médicamenteuse et lui restera quarante ans en prisons pour un meurtre qu'il n'a pas commis. C'est un livre foisonnant, d'un auteur à la fois : romancier, historien, journaliste qui nous entraîne dans ses enquêtes, ses interrogations, ses doutes, ses colères.
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