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7 octobre 2021

Drive my Car (Doraibu mai kā) de Ryūsuke Hamaguchi - 2021

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En bon adaptateur de Murakami qui se respecte, Hamaguchi aime à cultiver un certain mystère et possède un goût certain pour l'évocation et le symbolique : son scénario, pourtant auréolé du prestigieux prix à Cannes, m'a plus ou moins échappé dans son plan d'ensemble, et je serais bien en peine de vous sortir une théorie pointue sur les relations entre les différents épisodes de la trame. Je ne sais pas, fatigué, inattentif, enseveli sous la durée un peu excessive du film (3 heures, et on a l'impression que ça pourrait en durer 5 ou 16, tant il cultive un goût pour la lenteur), en tout cas, je n'ai pas capté ce que Hamaguchi avait exactement envie de nous raconter avec son histoire, plus capté finalement par chaque scène prise une par une que par le plan général. Essayons toutefois de résumer : Yusuke est metteur en scène de théâtre, marié avec une auteur de série télé, couple ayant jadis perdu leur fillette. Leur amour total est troublé par la découverte par Yusuke de l'infidélité de sa femme, qui meurt alors subitement sans avoir pu discuter de la chose avec lui, emportant avec elle ses mystères. Hop, générique, au bout de 45 bonnes minutes de film, et nous voilà deux ans plus tard, à Hiroshima, où Yusuke doit diriger une mise en scène de Oncle Vania. On lui adjoint une équipe multilingue (du mandarin, du japonais, de l'anglais, et même de la langue des signes) et surtout une jeune chauffeuse opaque avec laquelle il va nouer une relation unique au cours du film. Enquêtant sur son amour perdu, occupé par la pièce de Tchekhov qui le hante, dérangé par la présence dans la troupe d'un ancien prétendant de sa femme, bouleversé par cette fille à son service, notre héros plonge de mystères torves en béances et va devoir réviser sa propre existence. En gros. Je ne sais pas vraiment s'il y arrive : on nous annonce un peu partout que tout se démêle lors de la dernière heure, révélant enfin le sens profond du film ; je n'ai pas vu pour ma part la révélation et suis resté un peu comme deux ronds, ennuyé même par cette fin qui n'arrête pas d'advenir et qui n'explique rien. Je suis prêt à reconnaître ma sottise et attends vos savantes explications en commentaire.

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N'allez pas croire pour autant que le film m'a déçu. Si j'ai été un peu égaré par le scénario, ce n'est pas grave, et j'ai même éprouvé un certain plaisir, comme dans les romans tortueux de Murakami, à me perdre. Et puis de toute façon, chaque séquence, chaque épisode, chaque micro-événement du film contient suffisamment d'inventivité et possède un ton si personnel que le film laisse franchement ébloui au bout du compte. Superbement joué, éclairé et cadré en vrai maître (ces cadres qui vous rentrent dans le cerveau directement, très mathématiques et en même temps très sensibles), Drive my Car ne cesse d'épater par son génie absolu de la mise en scène. Hamaguchi possède toute la grammaire du cinéma, et sait peser subtilement l'effet de chaque position de caméra, de chaque tempo : le monologue très long dans la voiture, les plans infiniment touchants sur le muette, le ton bluesy de ces nombreux cadres sur une voiture qui roule, la science incroyable du champ/contre-champ, du décadrage, du faux axe de regard, à chaque seconde on est happé par la puissance tranquille du regard du cinéaste sur les choses et les acteurs. Tout le début du film, qui prend pour postulat que la parole peut être vectrice d'érotisme tout comme les corps, à la fois sensuel et troublant, commence déjà à vous scier les pattes ; ensuite, même si les corps restent pudiquement couverts, le sexe, les relations charnelles entre les gens, ne cessent d'exploser : c'est simplement que (comme dans Titane finalement avec qui le film trouve des ponts improbables) Hamaguchi travaille sur une nouvelle sexualité. Hommage profond à la littérature, à l'oralité, au théâtre, au pouvoir de l'histoire et du récit, au langage dans sa plus complexe acception (en atteste la Tour de Babel que devient la mise en scène de Oncle Vania), le film table sur une sensualité autre, ou complémentaire disons, qui passerait par les mots. Par les mots et par le silence tout aussi bien : les relations entre le héros et sa chauffeuse, pendant la majeure partie du film, se passent de mots, ne passent que par le profond plaisir qu'éprouve Yasuke à se faire conduire par cette pilote parfaite. Mais c'est quand il prendra la parole pour trouver les mots exacts (et sensuels) pour décrire la conduite de la demoiselle qu'ils pourront enfin commencer à parler, et à passer par-dessus cette maudite cassette sur laquelle est enregistrée la voix de l'épouse morte.

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Ce n'est qu'une des 4000 pistes possibles de ce film mystérieux, envoûtant, sensuel, opaque, parcours à la fois physique et mental d'un homme en deuil, de son enfant, de son épouse, de lui-même : on pourrait tout aussi bien parler de l'acceptation de l'infidélité de son épouse à travers la découverte de la part de mystère que revêt toute existence, du processus de création (les scènes de répétition théâtrales sont magnifiques), de la découverte de l'indépendance d'une jeune fille, ou des autres thématiques développées avec subtilité et ambition par Hamaguchi. Dommage que tout ça, in extremis, se perde un peu avec les personnages dans la neige et les maisons écroulées, le film n'avait pas besoin de cette résolution trop bavarde pour nous égarer avec un brio épatant. En tout cas, encore une fois, fasciné par ce metteur en scène sensible comme un Ozu et précis comme un Kiyoshi Kurosawa. (Gols 20/08/21)

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Les films de Hamaguchi sont certes bavards mais ils le valent bien, tant les acteurs semblent portés par les dialogues et tant les dialogues ne cessent de faire sens. J'ai été pour ma part conquis par toutes les parties du films, de la relation complice entre Kafuku, ce metteur en scène et sa femme, scénariste, aux confidences remarquables de la fin du film (la discussion entre Kafuku et le jeune acteur et celles entre Kafuku et sa chauffeuse (de saab)) en passant par ces multiples répétitions qui entremêlent si finement les caractères sur scène et à la ville (on n'avait pas vu une telle interdépendance aussi rondement menée depuis Le dernier Métro - j'entends vos rires et les ignore). Oui la mise en scène est classieuse, d'une fluidité d'aquarium, mais on est surtout marqué par ces personnages, volubiles ou taiseux, qui ne cessent de se dévoiler à mesure que le récit avance... Il sera question de remords (Kafuku et la chauffeuse persuadés d'être responsable de la mort de leurs proches), de schizophrénie (de la difficulté d'être acteur à la maladie de la mère de la chauffeuse), de prise de risque et de prise de responsabilité (l'acte tragique du jeune acteur), de sentiments, de trahison, de remise en question, de sagesse... (la toute fin, tchekhovienne en diable) et j'en passe... Avec son petit air de ne pas y toucher, Hamaguchi à le don de nous amener doucettement dans cette histoire (le générique au bout de 45 minutes après cette très longue intro - chez certains ce serait un effet de style à la noix, ici cela parachève magistralement un troublant prologue) et de camper ses personnages.

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Il y a ainsi ce metteur en scène très complice avec sa femme : ils ont su traverser des épreuves très dures (la mort de leur fille) et semblent être parvenus à se reconstruire en se "racontant" mutuellement des histoires... Jusque-là, tout semble pour le mieux. Et puis il y a cette sorte de double trahison qui survient : l'infidélité de sa femme et... sa mort subite. Si Kafuku semble être capable d'avoir surpassé cette infidélité (en se persuadant qu'il connaissait et aimait sa femme comme personne d'autre), il a plus de mal à se pardonner d'être rentré tardivement le soir de son accident fatal... La suite du récit lui prouvera qu'il se fourvoie un brin sur les deux tableaux - d'une part sa femme entretenait des relations très fortes avec ses amants et d'autre part il n'est pas plus coupable de sa mort que d'autre chose ; il recevra en un sens deux petites leçons de vie en discutant avec le jeune acteur, loin d'être aussi naïf et creux qu'il le pensait, puis avec la chauffeuse qui a vécu une sorte de situation similaire à la sienne. Vivre avec les propres battements de son cœur (sans trop chercher à se projeter dans celui des autres...), survivre sans se noyer dans des remords inutiles, tels sont les petites pistes de réflexion sur lesquelles notre metteur en scène est quelque peu lui-même remis en place.

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Et puis il y a bien sûr, dans ce grand film où les thèmes débattus sont multiples, toutes ces interactions entre la vie et l'art, entre l'art de vivre et le théâtre, avec des personnages qui n'ont de cesse de questionner leur envie, leur capacité de jouer... Si le metteur en scène ne se sent plus la foi d'incarner cet Oncle Vanya, il lui faudra traverser un long chemin personnel pour le remettre sur la voie ; si le jeune acteur ne sent pas à la hauteur d'incarner ce personnage "expérimenté", il se mettra lui-même en danger pour se frotter à la rugosité de la vie (avec un geste un peu ultime) ; si les acteurs doutent des répétitions "robotisées" (les lectures faites sans ton) proposées par le metteur en scène, ils finiront par se rendre compte, une fois qu'ils parviennent vraiment à ressentir le poids des mots (dans leur propre langue), de toutes les portes que cela ouvre dans leur jeu... Hamaguchi, sans jamais dramatiser à outrance toutes les difficultés de "l'art dramatique", parvient avec une vraie finesse à nous montrer toutes les petites choses qui titillent les acteurs, leurs instants de doute comme les instants de grâce (la répétition côté jardin...). C'est un film où les kilomètres ne cessent de défiler et où les personnages, en faisant une partie de la route ensemble, finissent par trouver d'étranges connivences, par se faire d'étranges confidences, par se révéler à eux-mêmes - Même si le pessimisme semble planer sur les âmes avec ces divers traumas et autres morts subites, le ton qui prévaut demeure optimiste... A l'image de ce magnifique épilogue où l'on découvre via le personnage extraordinaire de cette chauffeuse (taiseuse dans un premier temps mais fine observatrice et psychologue dans un second) qu'il faut avant tout garder des gens qu'on aime les meilleurs choses (la voiture et le chien semblant pour elle  corroborer cet aspect-là) : la jeune femme renfermée est devenue radieuse, même la cicatrice (cette blessure du passé) semble s'être magiquement estompée. Le magicien Hamaguchi a encore frappé et est responsable pour l'heure, sans aucun doute, des deux meilleurs films de l'année - diantre. (Shang 07/10/21)

Commentaires
S
Le film aurait encore gagné en puissance avec quelques coupes dans le pathos. Un tantinet "Drive my cilice" parfois. Mais c'est vraiment pour chipoter, on est déjà à un très très haut niveau. (Et ça m'a donné envie de rouvrir mon Théâtre complet de Tchekhov.)
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A
Merci pour l'éclairage, précieux.
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M
Vous ne croyez pas si bien dire, même si, le film ne passant plus, je n'ai pas vérifié et n'ai pas les compétences linguistiques nécessaires...une élève de terminale faisant option coréen m'a dit que dans cette scène finale, au supermarché, tout le monde parle coréen: nous ne sommes donc plus au Japon: la jeune conductrice a donc quitté le pays pour se retrouver en Corée...la voiture, m'a-t-elle dit, est également à la fin immatriculée en Corée...cela donne sens à la fin, mais rien ne l'indique dans les sous-titres...
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A
J'aimerais beaucoup parler aussi bien et aussi longtemps des choses que je ne comprends pas. <br /> <br /> Pour moi le film nous met, avec la suprême élégance que vous évoquez, devant l'opacité des êtres, à eux-mêmes et aux autres. Et s'il fallait y voir une fin, ce serait celle d’Oncle Vania. Améliorée.<br /> <br /> D'ailleurs (ça me rappelle un commentaire sur Vertigo...), ai-je rêvé ? Dans tout le film les voitures roulent à gauche, mais dans le dernier plan (je crois) elles roulent à droite. Ça mérite un paragraphe de plus, m'est avis.
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