Plumes blanches (White Feather) de Robert D. Webb - 1955
On ne va peut-être pas lancer une intégrale maintenant, mais on aime bien décidément ce Robert D. Webb sur Shangols : artisan très compétent qui sait se montrer sensible et poétique quand il faut, excellent directeur d'acteurs, modeste faiseur qui ne la ramène pas, ce qui n'exclut pas un savoir-faire légèrement supérieur à la masse, non vraiment un mec à connaître. Preuve avec ce White Feather très attachant. C'est l'histoire toute simple d'un Blanc qui apprend à connaître le peuple cheyenne : Josh Tanner est un ingénieur censé reconnaître un terrain que les blancs veulent acquérir après un accord de paix et de retrait signé avec les Indiens (en gros, dégagez de là, y a de l'or). Or, si tous nos amis Pieds-Plats, Sioux et Crows ont accepté tristement leur sort, il reste un peuple qui résiste encore et toujours à la spoliation de son territoire : les Cheyennes, fiers et droits comme des i, qui ne veulent rien céder et canardent de flèches le moindre étranger qui pénètre de leur côté du fleuve. Josh, peu à peu, va se faire l'ami de Little Dog et American Horse, les deux plus sanguins d'entre eux, et va tenter la grande conciliation entre les Cheyennes et les blancs.
Lentement, Webb raconte cette histoire annoncée comme authentique, passionné de toute évidence par le quotidien de ce peuple en général massacré dans l'anonymat le plus complet dans les autres westerns. White Feather s'inscrit dans la glorieuse série des westerns anti-racistes, et c'est un des plus nobles dans ce sens : les Indiens sont montrés comme des êtres sensibles, intelligents, fins politiques, volontiers taquins et joueurs, et Webb leur donne une place supérieure à celle des Blancs, presque réduits à l'état de figurants ou de simples troupes militaires en mouvement. Josh devient un spectateur à la fois extérieur et investi de la vie de la tribu (il tombe raide dingue de Appearing Day, accorte Indienne peu timide), et on apprend avec lui pas mal de trucs sur leurs mœurs ; notamment qu'ils s'entrainent avec des mannequins avant d'attaquer des convois en hurlant, que leur grand plaisir c'est d'aller provoquer les Crows en leur piquant leurs poneys, ou que plutôt mourir plutôt que d'être exproprié.
Certes, le film n'est pas dénué de ventres mous et son rythme est quelque peu erratique. Pour une séquence marrante (le premier baiser avec la squaw, le jeu de chat et souris au début entre Josh et les Cheyennes, les provocations des deux camps), il faut se fader des séquences qui tirent en longueur, surtout à cause de ces longues palabres diplomatiques qui manquent un peu d'un vrai metteur en scène aux manettes, ou de ces seconds rôles un peu patauds. Mais malgré ça, on a droit à un vrai grand film qui se donne les moyens pour livrer son humaniste discours : les scènes de bataille sont pleines de bruit et de fureur, et remplis de combattants magnifiquement cadrés (le scope est de toute beauté), c'est vivant jusqu'au huitième rang de figurants, coloré comme un ara et dynamique comme tout. La dernière demi-heure, notamment , toute en dignité, va assez loin dans le lyrisme autant que dans la sobriété : le destin de nos deux potes cheyenne se résoudra dans la sang, et on sent bien que c'est avec une profonde tristesse et indignation que Webb regarde les Blancs triompher au profit de l'honneur indien. On tient avec Robert Wagner un héros romantique et sensible qui peut évoquer un James Dean, sorte de nouvelle génération de cow-boy plus concerné, moins bourrin, plus fragile (on n'est pas loin, dans les personnages, et malgré le grand classicisme de l'ensemble, du néo-western de Monte Hellman ou de Boetticher). Un petit film gentiment émouvant, magnifique visuellement et tout à l'honneur de ses auteurs, qui se montrent à l'occasion franchement humanistes.