Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
17 août 2021

Éclairage intime (Intimní osvětlení) d'Ivan Passer - 1965

Eclairage intime_photo 4 ©Malavida

Un petit film bien intrigant et bien intéressant (et bien oublié) qui nous restitue en plein ce qu'a pu être la fameuse école tchèque dans les années 60. Elle est en effet entièrement présente dans ces 75 minutes, depuis son noir et blanc froid jusqu'à son humour kafkaïen, depuis son symbolisme politique jusqu'à son esthétique immédiatement repérable. Pourtant, Éclairage intime tient à presque rien, peinant même à faire un film tant sa trame est ténue et son style discret. Mais c'est dans les détails du film qu'on trouvera son bonheur, plus que dans son dessin général. En surface, on a droit à une histoire sans grand intérêt : la visite de quelques jours, dans un petit village de province, d'un musicien de Prague à un ami du Conservatoire, en vue d'un concert donné dans le bled. Lui et sa gironde fiancée y rencontrent quelques personnages typiques, la famille du pote, les musiciens amateurs du village, les paysans du cru. Point. Pas de gros événements, pas de tiroirs dans cette tramette limpide, qui ne nous montrera que ça : une tranche de vie simple qui passe, un petit portrait amusant de la province tchèque des années 60, un regard attachant sur ces personnages rigolos et sympathiques, parfois croqués façon BD, parfois regardés avec une chaleur communicative. C'est justement dans le regard que Passer fait toute la différence : un rang de vieillards endimanchés en train de pisser contre un mur, une fermière en bikini qui ramasse des feuilles, un quatuor de musiciens jouant faux mais heureux d'être là, une petite vieille qui fait sa gym, autant de minuscules détails gentiment absurdes, qui prennent toute leur saveur par la façon qu'a Passer de les cadrer, de faire durer la plan, de trouver l'exacte bonne distance pour en rendre la drôlerie bon enfant. Finalement, c'est tout un univers, déconnecté de la réalité, qu'il parvient à construire, en faisant mine de filmer le vide de la province bourgeoise, en faisant mine de rendre la réalité telle qu'elle est : on est emmenés dans un monde presque parallèle. C'est pourtant bien dans le réel que Éclairage intime est ancré, et il a même les deux pieds dedans : c'est juste qu'il sait relever en celui-ci le détail idiot, l'absurdité, le petit machin pendable qui font tout le sel de la vie.

Eclairage-intime-1

Derrière l'humour constant du film, derrière sa légèreté craquante, on devine portant une mélancolie, une tristesse, qui le rendent plus profond encore. L'ennui de la province, l'imbécillité campagnarde, la fatuité urbaine, l'éternel combat entre hommes et femmes, entre culture et ignorance, finissent par produire une œuvre assez amère, teintée d'un certain désespoir : tout le monde est renvoyé dos à dos, et les personnages ont beau être rigolos et attachants, ce qui ressort de l'exercice est que notre société est bien vérolée de toutes parts. Ça et là, quelques éléments de laideur viennent rayer la surface trop lisse de cette ruralité fantasmée en petit monde paisible : un paysan handicapé qui drague la jeune fille, le rire moqueur et gênant de la même, un poulet écrasé par une voiture, ce dernier plan fabuleux sur un groupe trinquant dans des verres vides et se figeant dans la position du buveur, des personnages à la tête bandée sans qu'on sache exactement ce qui leur est arrivé : l'humiliation, la douleur, l'absurdité métaphysique de la vie, interviennent plus souvent qu'à leur tour dans cet univers tout de charme apparent. Sans jamais déborder, sans jamais tomber dans la démonstration, Passer donne à voir un univers tout en clair-obscur, qui peut être magnifique et drôle, mais aussi profondément violent et dur ; à l'image de la scène parfaite de cuite dans la nuit, à la fois fendarde et dérangeante. Un bien beau film secret à découvrir, conseil de Shangols.

Eclairage-intime-2-922x576

Commentaires
Derniers commentaires