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17 juillet 2021

LIVRE : Ainsi nous leur faisons la guerre de Joseph Andras - 2021

"Les femmes qui se battent pour voter ne comprennent souvent pas pourquoi déclarer les guerres, fabriquer les lois et violer les femmes, cela ne suffit pas à contenter les hommes, pourquoi il leur faut de surcroît démembrer les animaux qu’ils croisent ; ce que nombre d’entre elles comprennent, par contre, c’est que la force mâle qui meurtrit le corps des femmes et celui des bêtes est la même, que cette force dit de la femme qu’elle est une chienne et des bêtes qu’elles sont autant de biens, que cette force décrète ce qui mérite ou non de vivre et surtout à quelle place, que cette force conquiert la viande par son fusil ou par son sexe droit. »

9782330149017,0-7145197Triptyque à la Jerome Bosch pour ce livre qui tente comme le peintre de donner un certain aperçu de l'enfer : Andras est militant pour la cause animale, et décide donc en trois volets tout aussi cauchemardesques l'un que l'autre de dresser un certain état de nos relations avec les bêtes à travers des cas remarquables. 1903 : un chien sert de cobaye pour une démonstration scientifique, un cas de torture avérée qui se déroule dans l'indifférence, voire la moquerie générale. Des activistes s'emparent de ce cas et iront assez loin dans la reconnaissance de la souffrance animale. Elles auront des descendants en 1985 lors de cette action musclée pour libérer des animaux de laboratoire, et notamment un petit singe aux paupières cousues. Enfin en 2014, une vache tombée d'un bétaillère sur la route se verra abattue sans autre forme de procès, cas pathétique de l'injustice faite à nos amies les bêtes. Tout ça dessine une sorte de monde infernal où les animaux sont sacrifiés pour des raisons scientifiques ou alimentaires dans un déni total de la population qui peine encore aujourd'hui à reconnaître qu'ils peuvent souffrir, éprouver des émotions, et tout simplement être importants dans notre civilisation. Ce requiem souvent assez touchant (le magnifique passage sur le singe qui retrouve la vue) est porté par une langue ample, poétique, maniant l'ellipse en orfèvre. On voudrait tout citer tant cette écriture est virtuose et fluide à la fois, volontairement complexe pour dire la complexité du monde. Que ce soit pour retracer en deux pages l’histoire de l'humanité ou pour relever un minuscule détail, Andras est à la place exactement juste, et réalise un texte aussi digne que fiévreux. Tout ça, donc, au service d'une cause animale dont on sent qu'il la sert avec viscéralité, avec une juste indignation qui transparaît dans son écriture faussement ironique et distante. Il y mêle avec maestria toute une réflexion sur le féminisme, qui vient s'entrelacer dans ces trois courts récits pour mettre à jour LA tare de toujours : la frustration de l'homme, sa soif de domination, son pouvoir à jamais inassouvi et qu'il transforme en violence ; que ce soit envers les bêtes ou les femmes, finalement, ne change rien. Comme le montre la magnifique phrase ci-dessus, tout n'est que question de force usurpée. Un bien beau livre sauvage et tourmenté, mes respects à Joseph Andras, je vais choisir la petite salade la prochaine fois au resto.

Commentaires
A
Rien à voir mais avez-vous lu le cycle de Gene Wolfe, Le Livre du Nouveau Soleil ? Il vient de reparaître dans une édition intégrale chez Mnémos et je serais très curieux de connaître votre avis sur ce qui est à mon sens un chef-d’œuvre du genre!
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