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Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
16 août 2021

Titane de Julia Ducournau - 2021

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Comment rebondir après un premier film brillant et très stylisé ? Ducourneau choisit la voie de l'ambition et réalise un deuxième film qui approche le total chef-d’œuvre. Totalement aberrant, Titane déploie son charme barré, vénéneux, dérangeant, troublant, tout le long d'un trip éprouvant et halluciné. Il faut certes adhérer au départ à la vision tordue de la cinéaste en ce qui concerne l'amour, les relations entre les êtres humains, la néo-sexualité disons : chez elle, les genres masculins et féminins tendent à s'abolir, pour créer une sorte de nouvelle humanité entre les deux, peut-être encore plus sexuelle parce que totalement privée de sexe. Une machine née de la perte des identités sexuelles, quoi. Je m'explique : d'un côté, l'archétype de la féminité, Alexia, danseuse de salons de l'auto, qui propose ses chorégraphies lascives à quelques mecs fascinés sur les carrosseries des bagnoles (occasion de la prodigieuse ouverture du film, un plan-séquence magnifique au son de la musique des Kills où les corps s'affichent dans une lascivité étonnante) ; de l'autre, le cliché de la masculinité : Vincent, pompier de son état, bourré jusqu'aux cheveux de stéroïdes, corps sculpté et mâchoire serrée. Ces deux personnages principaux vont, à partir de ce point de départ très normé, quitter ces archétypes pour se rejoindre dans un juste milieu fantasmé, à la fois monstrueux et apaisé. Alexia, enfant dérangée, serial-killeuse au cerveau grignoté par une plaque de métal, va rencontrer Vincent, solitaire en quête éperdue d'amour, et ce quelque soit l'objet d'icelui. Elle aura depuis renoncé à son identité féminine, sera devenu Adrien fils disparu de Vincent, et aura découvert qu'elle est enceinte. Mais qui est le père du bébé, si ce ne sont les voitures, avec lesquelles elle a trouvé une sexualité enfin épanouie (géniale séquence cronenbergienne où la belle baise... avec une bagnole, toute en suspensions). Au fur et à mesure du film, ces deux êtres si différents vont reconstituer une sorte de cellule familiale, l'un soutenant l'autre, au gré de séquences où le spectateur s'enfonce comme dans une jungle moite et humide.

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Car de fluides, il est beaucoup question dans Titane ; mais contrairement à ce qu'on pourrait penser et à ce que la première partie, très éprouvante, pourrait faire attendre, c'est moins le sang qui va jaillir que l'huile de moteur. Car Alexia se transforme en machine de métal, et expulse par tous ses orifices des liquides noirâtres parfaitement répugnants. Sa métamorphose en néo-humaine passe par des mutations douloureuses de son corps, devant les yeux mi-effarés mi-bienveillants de ce père supposé qui l'a choisie. Et peu à peu, le film se tord en même temps que les corps, devient dérangeant, troublant, d'un érotisme 2.0 qui, finalement, occulte le sexe (curieusement pratiquement absent du film, mais pourtant omniprésent). Cet aspect-là est brillantissime : les deux acteurs, Agathe Rousselle et Vincent Lindon, qui se donnent vraiment corps et âme au film, sont dirigés autant pour leur intelligence de jeu que par ce que dégagent leurs corps, par la sensualité souvent brute de décoffrage qu'ils envoient. Ils sont au service d'une histoire de genres et de famille éminemment provocatrice. Le discours : le genre n'existe plus, il faut le remplacer par une troisième voie, qui est peut-être celle des machines ; le sexe n'existe plus, il faut le remplacer par les rapports humains, la jouissance organique pouvant être procurée là aussi par les machines ; la famille n'existe plus, elle peut se métamorphoser en affinités électives, on peut désormais choisir sa famille, délaisser la naturelle pour s'en créer une personnelle ; la morale, au final, n'existe plus, dans ce monde désolé on peut choisir d'être bon ou mauvais, il n'y a d'ailleurs plus nécessité de séparer les deux camps. Ducourneau raconte ces concepts en restant toujours spectaculaire, fiévreuse : il y a des scènes de danse magnifiques (c'était déjà le cas dans Grave) ; des plans à la fois répugnants et beaux sur des corps qui s'ouvrent, se fissurent, souffrent façon Pietà ; une utilisation de la musique toujours choisie pour son émotion directe ; une fascination pour tout ce qui brûle (le feu, sans arrêt convoqué), pénètre (la belle tue avec une pique à cheveux, accessoire au passage éminemment féminin), écarte ; une bande-son de bruits glauques qui vous rentrent direct dans le ciboulot...

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Le film est soigneusement partagé en deux parties, chacune développant un style un peu différent : la première est violente et drôle, s'apparentant parfois au cinéma d'horreur, pleine d'excès et de scènes spectaculaires (parfois il faut avoir le cœur bien accroché, diable) ; la deuxième développe son concept cérébral avec une force visuelle et sémantique impressionnante, déjouant les attentes presque tarantinesques qu'on avait jusque là. Le tout fabrique un objet vraiment tordu mais d'une parfaite cohérence, toujours surprenant et audacieux. Prétentieux ? peut-être un poil. Mais quand la prétention émane d'une cinéaste à ce point en pleine possession de ses moyens, et convaincue de son discours, on ne peut que s'incliner : on a trouvé là une digne héritière de Cronenberg, qui ne se contente pas de le singer, mais invente de nouvelles pistes à son cinéma technologico-charnel, en prolonge les thématiques avec une originalité et une personnalité uniques. Du cinéma comme on en rêve, ou comme on en cauchemarde, fantasmatique, traumatique, émotionnel, brûlant : immense. (Gols 15/07/21)

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Plutôt plaisamment surpris d'écouter, quelques heures à peine après vision de la chose, alors même qu'un bus macronien m'emmenait vers Florence (l'oxymorisation de nos vies), que le film de l'osée Julia était palmé... Une palme que certains diront en acier (trempé dans le sang) plutôt que d'or (un Lindon d'or, tout de même), mais qui a au moins le courage de récompenser un cinéma à la marge qui a, à l'image de notre époque, envie de varier les "genres", de jouer avec sans trancher, en les aimant tous... C'est un peu le grand point fort du film, ce mélange : une entrée en "matière" qui convoque Cronenberg et Carpenter (ces voitures animées d'une âme, le parfait cauchemar pour tout fils de garagiste), une jolie pointe de gore où les individus se mettant dans les pattes de l'héroïne finissent saignés à blanc comme des cochons et où les os de nez se pètent sur l'émail d'un lavabo comme un fin biscuit gaufré sur un parpaing (plus d'un masque s'est retrouvé sur les yeux, dans la salle) et puis un Lindon pompier qui tente de retrouver le feu des sentiments, ou disons tout simplement la flamme... Deux individus totalement brisés (après le gamin en bois de Carax, la gamine en fer de Ducournau - les enfants modernes semblent avoir perdu leur chair), sans plus guère de repère (la gamine rompant avec ses parents, errante, recherchée, un Lindon dont le passé n'a laissé que des cendres, prêt à tout pour reconstituer un semblant de famille), deux individus donc qui, tel deux tuteurs abîmés, vont malgré tout tenter de se supporter l'un l'autre... dans un climat tendu, de feu et d'huile de vidange qui suinte par tous les pores de cet(te) enfant aux réflexes mécaniques...

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Oui, c'est une palme pour le moins surprenante qui prend le contre-pied de ces prix policés et donnés à des auteurs tellement reconnus qu'ils ne se donnent même plus la peine parfois de changer de registre. Le cinéma (contemporain) de Ducournau est un cinéma de nerfs (à l'image de ces veines qui affleurent sur la peau de Lindon), de bruits, de choc, d'explosion d'hémoglobine, de fluides poisseux qui tentent de nous rendre avec les moyens du bord la violence de notre ère, une ère à l'agonie où chacun tente de se recréer, avec des moyens de bric et de broc, un semblant de famille. Certes, dans cette seconde partie de l'œuvre, il y a bien quelques creux (les deux personnages principaux, plutôt mutiques dans le genre n'apportant que peu de mots à leurs maux), quelques séquences qui pètent plus le feu qu'elles ne tentent de lui donner une véritable symbolique, mais la foi aveugle que ces deux créatures au bord du gouffre placent l'une en l'autre est suffisamment forte pour qu'on s'accroche jusqu'au bout à leurs ailes (de voiture pour l'une, calcinées pour l'autre), pour qu'on croie jusqu'au bout, dans cette mise en scène rutilante, à cet attelage au forceps. Une palme dans ta gueule. (Shang 16/08/21

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Quand Cannes, 

Commentaires
S
Tout ce qu'avait de brillant Grave (du moins à mes yeux), c'est qu'il était sans doute la boule de cristal dans laquelle, à bien y regarder, on pouvait voir s'annoncer Titane. Ce que j'avoue ne pas avoir vu venir. Je suis donc autant ensorcelé par cette Palme titanique que j'avais été déçu par son précurseur.
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H
Du tout cuit pour un cours ou un mémoire de fac de ciné sur le corps-post-humain-en-devenir-machine, dans une optique para-cronenberguienne.
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F
C'est très métal, ce machin, esthétiquement et techniquement irréprochable. Question créativité c'est à la hauteur des meilleurs spots publicitaires. Les chansons sont bien entendu en anglais mais ce n'est pas trop désagréable quoiqu'assez outrancier. Dans la deuxième partie par contre les dialogues sont quasi-inaudibles. Il faut que le cinéma se démarque de la télévision, d'accord, mais ce n'est pas sûr qu'avec de tels bazars il gagne en nombre de spectateurs. A la séance du dimanche matin on était six.
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M
Bravo, Shangols . <br /> <br /> Alors, on entre enfin dans le rang ? Dans le très élargi Cercle des Rebelles Consensuels , des Anticonformistes Conformes ? <br /> <br /> A l'instar des Sciamma, Guiraudie, Dumont, etc, cette Julia D. coche très exactement toutes les cases con-sacrées de ce Monde-femiso- téléramesque devenu apparemment le vôtre ( l'âge peut-être...) <br /> <br /> Or donc, ça fait quoi de savoir que Mylène F., Mélanie L., Spike L., ces agitateurs des palaces, ces révolutionnaires en Nike, ces mutinés netflixés, partagent les mêmes goûts que vous ? <br /> <br /> <br /> <br /> Vous voilà en tout cas prêts pour chroniquer le Tour de France.
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