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Shangols
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8 mars 2022

Contes du Hasard et autres Fantaisies (Gûzen to sôzô) (2021) de Ryûsuke Hamaguchi

Ryûsuke Hamaguchi est définitivement en passe de devenir un cinéaste nippon de tout premier plan (en attendant d'ailleurs avec impatience son film projeté cette semaine à Cannes qui sortira le 18 août - avec un peu de chance, je pourrais le voir avant de m'envoler vers d'autres terres d'inculture). Pour preuve ces trois historiettes qui prendraient presque des allures hong-sangsooienne (ces plans-séquence ultra-dialogués, ces zooms finaux, ces jeux de séduction...) mais pas que. Il est question ici, si l'on suit le titre anglais, de différentes rencontres hasardeuses, avec, on y vient, une roue de la fortune qui s'avère plus ou moins favorable (on peut d'ailleurs aussi tomber sur la banqueroute...) envers les différents protagonistes...

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Le premier récit met en scène un éternel trio : une jeune femme, modèle, apprend par sa meilleure amie sa rencontre "magique" avec ce qu'elle espère être l'homme de sa vie ; petite ombre au tableau, ce type, c'est justement le précédent amour de la jeune fille mannequin (ils se sont quittés suite à une infidélité minime de la jeune femme et l'homme semble avoir sacrément morflé au passage (deux ans, c'est le tarif minimum)). Ni une ni deux, dès que la meilleure amie a fini son récit, la jeune femme va voir cet ex : une explication en bonne et due forme, tour à tour tendue et complice, où les deux êtres se retrouvent après le moindre compliment ou la moindre critique très proches ou très distants - une ultime confrontation à trois viendra clore les relations de ce trio... pas vraiment magique... Au delà de cette fin joliment troussée (la petite "fantaisie" qui rend possible deux versions - avec quasiment le même résultat d'ailleurs...), on admire au passage la maîtrise de cette séquence en taxi entre les deux jeunes femmes qui se racontent leur vie (un plan infini qui ne s'essoufflera semble-t-il jamais) ainsi que la confrontation entre les deux ex où les mouvements incessants traduisent toute l'ambiguïté et l'indécision de la situation (vont-ils se réconcilier pour toujours ou se haïr comme jamais ?). Hamaguchi fait encore preuve d'un sens du dialogue pointu et d'une mise en scène de la tragédie des sentiments amoureux qui battent de l'aile très dynamique. On relance.

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Seconde histoire, celle d'une revanche où là encore toutes les issues sont possibles : pour faire simple, un ancien étudiant veut se venger de son prof qui l'a humilié par le passé ; pour cela il demande à sa maîtresse, une femme mariée, d'aller draguer l'homme sur son lieu de travail et de le faire "tomber" (en enregistrant tout du long la conversation (et plus si affinités) avant de la rendre publique). Forcément rien ne se passe comme prévu : il y a bien le charme de la jeune femme (et de sa voix - comme si Maylis de Kerangal avait écrit le script...) qui agit comme il se doit (la lecture d'un passage érotique qui donnerait la chair de poule à un endroit moins classique que le dos), il y a bien un prof qui n'est pas totalement insensible à la chose... mais, mais, le scénario si bien huilé semble buter sur la petite partie humaine imprévisible de chacun... C'est là encore joliment mené : les deux protagonistes se retrouvent forcément quelque peu "déstabilisés" par la situation mais pas dans le sens attendu... quant au twist final, ce véritable coup du sort, il se révèle tout aussi inattendu et assez cynique. On a encore marché à plein dans cette histoire, dans son jeu de dupes (décidément) comme sur son charme non voilé qui vire à l'érotisme, mais on se fait encore une fois cueillir par cette conclusion qui renvoie ce trio (chacun à sa façon) dans les cordes... On relance, puisque l'on gagne.

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Enfin, le dernier récit est digne d'une historiette d'Achille Talon (j'ai une mémoire très sélective). Deux amies de lycée se recroisent des années plus tard. L'une invite l'autre chez elle pour faire le point... Seule petite surprise au tableau, elles se sont chacune méprises sur l'identité de l'autre... Un situation qui vire forcément au grotesque ? Eh bien pas forcément, au contraire même, les deux jeunes femmes, plutôt finaudes et à l'écoute, vont transformer cette rencontre on ne peut plus hasardeuse et fortuite en une discussion bien plus enrichissante (pour les deux) qu'une vulgaire rencontre d'apparat où tout le monde se sourit sans en avoir rien à foutre de ce que l'autre raconte. Il y a là encore deux comédiennes parfaitement dirigées, sobrement mise en scène (ce petit plan derrière la vitre du salon alors même qu'elles construisent, à partir de rien, une véritable "intimité" totalement inattendue - elles deviennent transparentes l'une pour l'autre après cette terrible confusion), chacune se retrouvant entraînée dans une sorte de jeu de rôles proprement jubilatoire (je finis par piquer des adjectifs à Télérama quand je n'ai plus d'inspiration). Once again, on est vite happé par ces petites saynètes qui partent pour le coup de rien et qui se transforment une une sorte de rencontre d'une vie. Jeu de mots, de placements subtils, d'écoute mutuelle, on ressort enchanté de ces trois historiettes minuscules et pleines comme un œuf. L'année 2021 est pleinement lancée, enfin !!!   (Shang - 13/07/21)


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Vous pouvez intenter dès maintenant un procès à Shang si vous avez lu son texte avant de voir le film : c'est même plus du spoil, c'est du sabotage. La beauté du film réside pourtant dans ces jeux de hasard à chaque fois inattendus, et c'est un crime, Shang, que de les avoir pétés d'entrée de jeu (ah on ne peut pas toujours s'envoyer des fleurs, et puis le bougre est en vacances, je fais ce que je veux). Ceci dit, je suis à l'unisson avec lui pour chanter la gloire de ce magnifique film subtil et émouvant. Ma préférence à moi ira vers ce dernier conte, un véritable enchantement qui montre que, parfois, on peut se montrer plus intime avec un inconnu qu'avec un proche. Un jeu de rôles subtil, filmé de main de maître par un Hamaguchi plus que jamais dominateur des plus infimes émotions. Il y a dans ce ping-pong verbal, dans ce glissement très mesuré de points de vue, une grammaire impressionnante de metteur en scène, à la fois issue du théâtre et d'un cinéma minuscule, celui de Ozu, de Kore-Eda, de Rohmer. Comme en plus ce sketch est une merveille de jeu entre ces deux comédiennes loin de tous les canons (un jeu à la fois décalé et juste, c'est magnifique), on reste pantois devant la réussite de cette partie, mélancolique, joyeuse, étrange, fantomatique, bouleversant.

Bande-annonce-Contes-du-hasard-et-autres-fantaisies-la-nouvelle-merveille-de-Hamaguchi

Les deux autres parties ne déméritent pas pour autant : la première, peut-être un peu trop légère, raconte un marivaudage amoureux sur fond de hasard improbable, et j'ai moi aussi beaucoup apprécié cette fin qui s'assume complètement comme un "truc" de cinéma. Hamaguchi nous rappelle avec cet effet qu'on n'est pas dans le réalisme, dans la véracité, qu'on est dans le conte comme l'indique le titre français, et qu'à ce titre, tout est possible, y compris exploiter toutes les possibilités d'une trame, effacer et recommencer. Quant au deuxième sketch, dans lequel on retrouve l'érotisme feutré du Hamaguchi de Drive me, il est lui aussi magnifiquement joué, notamment par ce professeur impavide en surface mais bouillant à l'intérieur, et il montre la grande imagination de l'auteur, capable de vous raconter une histoire d'amour sans amour et de vous troubler tout de go. La mise en scène discrète mais savante, la photographie magnifique, la jolie petite musique qui court tout le long du film, la perfection des comédiens, font qu'on se fond dans ce film avec délices, comme dans un bain parfumé japonais. Dès que votre soif d'égorger Shang sera passée (Shangols, le blog à lire après avoir vu les films), revoyez Contes du hasard et autres fantaisies ; et puis revoyez-le.   (Gols - 08/03/22)

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Commentaires
M
Il me manque aussi, le Mitch protéiforme ! S'il est mort, qu'il ressuscite ! Un zigue du nom deChrist l'a fait. Adoncques, le Mitchocéphallogiastique peut le faire.
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M
En lisant les deux premiers commentaires, j'ai cru que les tauliers du glob viraient schizo.
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C
Eh beh ! Si nos deux baillis commencent à se tirer dans les pattes, on est pas dans la mouscaille…<br /> <br /> Me concernant, il passe progressivement du 110 pouces au vasistas, le Hamaguchi. Autant Senses et surtout le merveilleux Asako I & II m’avaient cueilli il y a quelques années, autant c’est un peu l’encéphalogramme plat avec ce Contes du hasard et autres (mornes) fantaisies et, pis encore, le curieusement surfait Drive My Car qui s’est retrouvé un peu partout dans les tops ciné ‘21 alors qu’il manque terriblement de vie, de sève, de tout, quoi. Tout le contraire d’Asako. Snif.
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S
Tu te souvenais d'un élément (les 2 fins alternatives ?) que j'avais écrit il y a 8 mois ? Nom d'une yourte, que de puissance d'écriture. Bref, disais-je.
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S
Mouais je relis ma chronique et je suis bien incapable de dire comment ces trois histoires finissent. Bref... si ce genre de commentaires t'amuse, qui puis-je ?
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