LIVRE : La Mythomane du Bataclan d'Alexandre Kauffmann - 2021

Les faits divers sont à la mode en littérature en ce moment, et je ne m'en plaindrai pas : j'adore qu'on me parle des déviances contemporaines. On en a une bien corsée avec Florence M. : proche d'une victime du Bataclan, elle devient un des fers de lance d'un groupe de survivants des attentats du 15 novembre, devenant même salariée de leur association, aimée et respectée de tous pour son engagement, sa bienveillance, sa compétence pour dénicher des petits groupes de rock, et son carnet d'adresse impressionnant : la belle est l'intime de quelques chanteurs culte, se fait draguer pas moult batteurs et force guitaristes, voyage entre France et États-Unis. Oui, sauf que... sauf que tout est faux. Kauffmann décrypte cet insondable mystère qui fait que Florence M. a pu se faire passer pour une victime du Bataclan au point d'en éprouver physiquement les séquelles, ou a pu recycler des amours chaotiques ou carrément fictifs qu'elle a inventés de toute pièce pour se fabriquer sa propre mythologie. Véritable gouffre de névrose, la jeune femme est un délice pour les psys : besoin irrépressible de consolation ? nostalgie d'un âge d'or du rock et du plaisir ? compensation d'une vie terne loin de ses passions ? besoin de se rendre importante aux yeux des gens qu'elle admire ? ou véritable schizophrénie qui lui fait croire à la longue à ses propres mensonges ? Tout ça mélangé donne ce personnage fascinant, qui a su quelques temps donner le change au point de devenir très importante dans cette association de rescapés, au point de dénoncer même les imposteurs (on découvre en effet tout un monde de profiteurs, de mythomanes, de simples escrocs autour de l'évènement traumatique), au point de péter les plombs dès qu'on met en doute la véracité de ses dires.

Ce qui est formidable dans le bouquin de Kauffmann, c'est qu'il nous fait partager le point de vue de ceux qui ont été abusés par Florence M. Pendant une bonne moitié du livre, on croit à cette vie et aux affirmations de la belle : mails à l'appui, on ne doute pas qu'elle a effectivement vécu ce qu'elle raconte, qu'elle a les amours qu'elle dit, qu'elle est compétente dans son domaine. Ce n'est qu'à la longue que ses mensonges se font jour, peu à peu : ici un mec qui nie avoir une relation amoureuse avec elle, là un type qui met en doute la réalité des messages échangés avec tel amant, là une fille qui découvre une arnaque ou un détournement de fonds. Le piège se resserre doucement sur Florence, et notre stupeur avec. Sans jamais trop insister sur les explications psys, nous laissant le soin de comprendre ou non cette affabulatrice dangereuse, Kauffmann utilise sa rigueur journalistique pour nous raconter simplement, dans l'ordre, la plongée de cette femme dans le mensonge. On en ressort dégouté par ce comportement mais en même temps assez touché par le déséquilibre de Florence, par cette soif inépuisable de reconnaissance, par ce destin raté qu'elle tente de compenser par la fiction, par cette façon de préférer rêver sa vie plutôt que de la vivre. Que ses mensonges s'appuient sur un des grands drames nationaux récents ajoute encore au malaise qu'on ressent : la colère de ses victimes sera terrible, et on les comprend, Florence M. leur a en quelque sorte volé leur douleur. Fascinant et insondable personnage, très bien rendu par l'écriture fonctionnelle de Kauffmann.